Il eut été tellement plus simple de commencer ce récit par cet incontournable « il était une fois » mais , au final, on a jamais su comment cette histoire avait commencé et ce qui s’était vraiment passé entre eux.
Qui sait ? Peut-être n'avaient-ils jamais eu rendez-vous ?
Leur entourage évoque encore une banale rencontre épistolaire, une habitude amicale qui, de simple amourette s’est rapidement, et contre leur gré, transformé en ballade amoureuse, semant , dans leurs esprits, autant de trouble que de confusion.. Ils en avaient vécu ensemble des jours , des nuits et des rires. Il lui parlait souvent de ce qu’il aimait , surtout de sa passion artistique, la musique….
Et puis , un jour leurs chemins se sont éloignés .Allez savoir pourquoi! sans trop y croire vraiment, sans doute parce qu’ils savaient que c’était tout bonnement impossible, ils s’étaient donné rendez-vous dans dix ans . Une phrase lancée en l’air , comme ça, simplement pour pouvoir l’entendre retomber lourdement sur le plancher des rêves. Un « je t’aime moi non plus » jeté comme un galet qui ricoche sur les vagues du temps.
…………………
5 Janvier 2008 Une chambre d’hôtel à Barcelone tard dans la nuit.
Effet indésirable ? effet de vérité illusoire ? Je ne parviens pas à dormir . Je m’extirpe d’un rêve étrange. Assis sur mon lit dans cette grande chambre sans charme, je viens de me réveiller en sueur. Le ciel est chargé d’électricité. L’orage gronde. C’est l’hiver.
Je suis musicien , en tournée dans la région . Hier soir nous avons donné un concert avec mon groupe dans une salle grandiose. Au nom étrange . Apollo . 23h précises les lumières se sont progressivement éteintes sous les applaudissements d’un public démonstratif ; je me suis avancé sur la scène , seul, comme je le fais d’ordinaire, dans une quasi obscurité, lourde, où le trac pèse devant des spectateurs en nombre que je ne peux encore distinguer.
A l’aide de mon harmonica, j’aspire mes premières plaintes mélodiques *« School" c’est l’intro fétiche de notre concert.
Derrière mes paupières closes, je sens la lumière envahir la scène. Tandis que le morceau se déroule au tempo prévu, que les projecteurs m’éblouissent enfin, que j’attrape mon saxo, je la découvre , là, au milieu de cette rangée de spectateurs, le visage rivé vers moi, parée d’un sourire éblouissant, ses grands yeux projetant leur lumière bleue jusqu’à moi, jusqu’à mon cœur, comme elle avait sur si bien le faire , dix années auparavant.
Dix ans . Dix longues et courtes années à parcourir la planète chacun de notre côté. Dix ans de combat , à agir, et tenter de l’oublier dans les bras d’une remplaçante, estomper chacun de ses traits de ma mémoire.
Effet surprise. Elle est là , pour de vrai à quelques mètres à peine de moi. Elle n’a pas oublié . Elle se souvient de moi.
Le concert est magique . Je n’étais pas sur scène , j’étais ailleurs . Je n'ai eu de cesse pendant ces 2 heures de penser à ces dix années écoulées, à ses yeux , son air moqueur et tendre.
A la fin du rappel, je me suis précipitée vers la salle rallumée la cherchant du regard essayant désespérément de distinguer ses cheveux blonds parmi cette foule piétinante .
Je l’ai aperçue enfin ! immobile au pied d’un des grands escaliers de l’entrée, m’attendant avec son regard espiègle. Je me suis approchée d’elle. Il n’y a pas eu de mots , pas de phrases. Aucune question . Aucune explication. Je l’ai prise par la main et nous avons marché dans les ruelles sombres de Barcelone. La ville semblait déserte. Moment de paix hors du temps, hors de tout .
Tout juste dix ans . Aujourd’hui était donc arrivé, presque en douce. Sur la pointe des pieds.
Nous marchions à présent tous deux , main dans la main, nous parlant, riant, blaguant, comme si ces dix ans avaient été dix jours.
Bientôt, il n’y eut plus de mots. Dix ans ! La chambre n’était plus une chambre, le plafond un plafond, le lit un lit. L’ivresse de nos mouvements, , la brûlure de nos corps nus s’enroulant et se déroulant sans fin sur ces draps défaits nous emportait dans un espace hors du temps.
Sa chaleur contre moi, la chamade de son cœur contre ma poitrine, sa main caressant doucement mon cou. Juste un pur moment d’amour absolu dans lequel nous nous sommes laissés glisser, emporter doucement vers le sommeil, un sourire aux lèvres.
Lorsque je me réveille, je serre un oreiller mou contre moi . J’allume la lampe de chevet , le lit est en pagaille, mais il n’y a personne à côté de moi.
Brutal réveil . Dur retour à la réalité.. Dix années viennent de me claquer à la gueule. Il est quatre heures et demie du mat et je suis seul dans mon lit, comme d’habitude.
Dix ans tout juste . Un rendez-vous manqué .