Transmission
Ce n'est pas possible, cela ne peut pas continuer comme ça...
Elle tourna son regard vers la fenêtre, mais la lumière du soleil l'obligea à fermer un instant les yeux. Elle rouvrit une paupière, puis l'autre, et regarda le morceau de ciel bleu qui emplissait l'encadrement. Cela faisait des mois qu'elle était clouée ainsi au lit, enfermée dans cette chambre d'où elle pouvait entendre tous les bruits de l'extérieur, le vent dans les branches des arbres, des enfants qui rient, le cri d'un rapace en quête de nourriture, mais ses jambes ne la portaient plus depuis la chute qu'elle avait fait dans les escaliers qui mènent au jardin. Depuis ce jour, son univers se résumait à cette chambre.
Malgré les soins, il n'y avait aucun résultat, aucune amélioration. Elle était devenue une pauvre créature dépendante des autres. Sa soeur s'occupait d'elle avec dévouement et amour, mais plus le temps passait, et plus la vie dans cet espace clos lui devenait insupportable. Alors elle écrivait sur son journal intime. Ses longues journées étendue sur ce lit de souffrance se ressemblaient toutes.
Elle poussa un soupir et ferma les yeux. Elle essaya de dormir mais, n'y parvenant pas, elle prit son cahier et commença à écrire, d'une écriture ronde et régulière, ce qui lui passait par la tête. Les phrases s'enchaînaient sur la page avec facilité et son esprit se détendait, cet exercice d'écriture était pour elle un moyen de s'évader par la pensée. Une sensation de plénitude l'envahit, auquel elle s'abandonna. Le stylo glissa de ses doigts sans qu'elle s'en aperçut et elle ressentit comme une sorte de crispation de tout son corps. Cela dura juste une seconde, et soudain elle se sentit soulevée, emportée, comme libérée, flottant dans les airs et se déplaçant avec facilité. Etonnée, elle vit son lit, en-dessous d'elle, et elle se vit, allongée dessus, ses longs cheveux étalés autour de sa tête. Elle se rendit compte alors qu'elle pouvait bouger, se diriger, mais elle n'avait pas de corps, c'était à la fois étrange et tellement réel, et elle ne ressentait aucune peur malgré l'étrangeté de la situation. Sans difficulté, presque malgré elle, elle passa le mur et se retrouva dans la pièce à côté, puis dans la partie de la maison du rez-de-chaussée. Tout ceci lui semblait naturel, et aussi très agréable, elle pouvait décider d'aller ici ou là, elle était comme une pensée qui se déplace et qui ne connaît pas de barrières, pas de limites. La voici à présent dehors, juste au moment où sa soeur revenait de sa réunion du conseil municipal et entrait dans la maison.
Vite, revenir malgré elle très vite dans la chambre, et puis un choc, un peu rude, et la revoilà dans le lit, avec un bref moment de confusion qui disparut très vite. Le bruit des pas de sa soeur qui monte les escaliers en bois, la porte de la chambre qui s'ouvre, et cette sensation qu'elle venait de vivre quelque chose d'incroyable, qui se répéta de nombreuses fois.
Son secret, seul son journal intime, ce gentil et fidèle ami, en eut connaissance. Puis, un jour, bien des années plus tard, un jeune fille tomba par hasard sur ce cahier enfoui dans un tiroir. Tout seul, il s'ouvrit à une page bien précise, où ne se trouvaient que quelques lignes. Dès qu'elle les lut , elle se sentit soulevée, emportée, comme libérée, flottant dans les airs et se déplaçant avec facilité...
Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux