Je suis institutrice primaire.
En septembre 2019, l’ancienne directrice ayant pris sa pension, une nouvelle arrive… D’une nullité difficile à décrire, pratiquant le « diviser pour mieux régner », ayant réussi en quelques mois à pourrir l’ambiance dans l’équipe éducative de l’école, à créer des conflits, et à me dégouter d’aller travailler.
En mars 2020, le Covid s’installe trop bien en Belgique et voilà que les écoles ferment pour une durée indéterminée. Si je vivais mal le fait d’aller au boulot avec les pieds de plomb à cause de la directrice et de l’ambiance de merde sur place, ce ne fut rien à côté du fait de ne plus avoir le droit d’aller bosser, voir mes élèves, et de devoir envoyer du travail par internet via des parents jamais contents.
En mai 2020, on fait revenir certains élèves à l’école, les « grands », donc ma classe. Dans des conditions totalement déshumanisées, tristes, que je ne validais pas du tout. Malgré tout, retrouver une partie des enfants était un plaisir, j’ai pris sur moi et bien fait ça.
En juin 2020, on rechange les règles. On me demande de valider « ouvertement » les directives alors qu’elles me semblent contradictoires aux précédentes, et toujours trop peu humaines. Bref, je dois me faire le porte-parole du gouvernement, aller contre mes valeurs et idéaux, et bourrer le crâne des enfants, comme si les médias ne s’en chargeaient pas déjà assez.
Ces quelques mois me remuent.
Oh oui, j’adore découvrir la capitale de l’Europe vide, prendre des photos de touriste sans âme qui vive dessus. Mais en même temps… Je vois le monde changer, d’une façon que je ne supporte pas, et je ne vois pas de fin, pas de « happy end », j’ai peur de ce qu’on devient. Comme tout le monde, je ne vois plus mes proches et cela m’affecte. Je ne sors plus et cela me manque.
Alors, j’adopte un chat, bonheur, et je vais voir souvent ma compagne à son boulot histoire d’avoir de l’utilité et des contacts sociaux. Mais voilà…
J’en ai ma claque d’être le rouage d’un système foireux et d’un bourrage de crâne. Fin juin 2020, je claque la porte.
Le système éducatif, déjà, je le remets en cause depuis quelques temps, car trop d’élèves ne s’y retrouvent pas, qu’on est bloqués dans un programme, que les parents veulent des notes, du coup on fait contrôle sur contrôle et ça n’a pas de sens.
La situation Covid me force à faire des choses que je ne voulais pas (= retourner travailler dans ces conditions, où les enfants étaient considérés comme des pestiférés, par exemple) et à dire des choses que je ne pensais pas (= c’est pour notre bien, tout ça est bien pensé)…
Objectif : me reconvertir. Trouver une autre voie. J’ai des tas d’idées.
Plus d’un an plus tard… Que dalle.
Bon. Bilan.
Dépression prise en charge en décembre 2020.
Prise de conscience qu’elle était probablement assortie d’un burn-out.
Réflexions sur le travail, mes valeurs, ce qui me porte, etc.
Quelques candidatures pour des emplois intéressants et où j’étais qualifiée, mais aucune retenue.
En dehors de ça, pas grand-chose de tentant. Quitter un boulot pour en prendre un autre qui me plaira moins n’a pas de sens… Je veux un truc qui me porte vraiment.
Recherches infructueuses : je ne réponds pas aux conditions, trop ou trop peu diplômée, j’ai pas le permis B, et surtout, pas de bol car gros handicap à Bruxelles, je ne maitrise aucune autre langue que le français.
J’avais le projet d’écrire aussi. Un roman.
J’ai rien fait. La dépression m’a ralentie. Puis j’ai pris le rythme de ma compagne, qui ne me convient pas. Je suis du matin, elle du soir. Mais pour la voir, j’ai fini par aller dormir à 1h du mat’ et me lever à 10h. Du coup, mes journées manquent de productivité.
Je donne des cours particuliers. Je suis utile, efficace, j’aime ça.
Dans les petites annonces, je constate que l’aspect pédagogique reste un élément-clé de mes recherches.
Un an et demi plus tard, il est temps que je recommence à travailler. Je dois me décider début décembre. Est-ce que je redeviens instit en janvier ?
A priori, c’est ce que je vais faire.
(À noter : la directrice nulle est partie, et a été remplacée par quelqu'un de très bien.)
Alors voilà. J’ai clairement raté ma reconversion professionnelle.
J’ai réussi…
à « survivre » à la crise Covid, à combattre la dépression (en cours).
à prendre soin de moi, à me positionner au centre de mes préoccupations (moi et pas « les autres »).
à me remettre en question pour redéfinir ce qui me motive dans la vie.
à comprendre que je suis faite pour enseigner, que ce n’est pas mon boulot que je dois changer, mais ma façon de le faire.
à admettre qu’un de mes soucis est mon hypersensibilité (à l’ambiance, aux remarques des parents, aux humeurs des collègues, …).
Alors… En janvier, j’irai à l’école.
Je ne serai plus un « aussi bon prof ». Car je ne veux plus que ce boulot prenne toute ma vie. Ce n’est qu’un travail, un moyen de gagner de l’argent tout en me rendant utile à la société. J’aime ce boulot, je le fais bien, je veux le bien de mes élèves. Mais ce ne sera plus au détriment d’autres activités, au détriment de ma santé, au détriment de mes proches. Parce que ce n’est qu’un travail, pas ma vie.
En même temps, je serai « un meilleur prof ». Parce que je veux donner davantage de sens aux apprentissages, et proposer un fonctionnement plus agréable aux élèves. Être moins dans le « traditionnel ». Faire des activités cools qui vont plaire au groupe-classe.
Il me reste donc plusieurs choses à faire :
- apprendre à ne pas me laisser démolir par des remarques, avoir confiance en moi et laisser couler… me dire « ce n’est qu’un job » et « on ne peut pas plaire à tout le monde ».
- modifier ma façon de fonctionner en classe, avec plus de jeux, de projets, etc.
- préparer le matériel de base des cours, pour ne pas devoir faire des prépas non-stop en cours d’année… et trouver un moyen pour avoir moins de trucs à corriger.
- organiser mon horaire, pour avoir un bon rapport temps de travail / temps de loisirs, pour voir mes proches, pour profiter de ma compagne malgré nos horaires décalés.
Bon.
J’ai raté ma reconversion professionnelle.
Je n’ai rien « accompli » pendant 18 mois. Projets avortés (autre travail, roman).
Je n’aime pas l’idée de retourner à l’école, avec mes collègues, avec ce sentiment de « j’ai rien fait de ce que j’avais envisagé », « je n’ai rien accompli ».
Comment leur expliquer tout le chemin parcouru sans entrer dans les détails, et présenter cette année et demi comme une réussite et non un « échec de reconversion » ?
Puis bon, voilà, j’avais besoin de coucher quelque part ces réflexions. Merci PopCorn de me donner la place pour le faire !