@loutre C'est très intéressant ! Merci de ce courageux témoignage ! Il traduit la réalité plus profonde de la banalité du mal que la façon qu'à Arendt de la décrire (mais elle ne pouvait pas aller trop loin lorsqu'elle a écrit et déjà été mal comprise et critiquée).
Aussi désagréable que cela puisse paraître le bien et le mal sont des catégories morales dont le contenant est permanent : Toutes les sociétés ont des notions de ce qui est bien et mal. Mais dont le contenu est sociétal et évolutif : il y a une grande variabilité du bien et du mal... ainsi le sacrifice d'un enfant dans des sociétés antiques lointaines, l'esclavage, le cannibalisme, etc.
L'évolution des valeurs se fait dans la cadre de relations complexes entre les acteurs sociaux, à grand coups de jeunisme (ce que pensent les vieux c'est nécessairement des conneries, redéfinissons les bien et le mal pour nous approprier le monde et virer les viocs), ou de réaction (bande de jeunes abrutis qui ne savent rien, n'écoutent rien et croient pouvoir faire table rase en foutant le bordel), mais aussi de reproduction, parfois de jeunes qui écoutent et de vieux qui se mettent à jour, de négociations également, nécessaires (ok ma chérie je garde tes enfants et je ne leur donnerais pas de viande mais les œufs, quand même... bon ok, les oeufs mais rien d'autres ok !) Plutôt rare cependant car l'idée des soit disant "innovateurs" est souvent d'être radical jusqu'au bouts des ongles : c'est neuf pour eux, ils ont l'impression qu'ils vont faire l'histoire pour au moins un millénaire alors... faut y aller quoi !
L'âge mais aussi l'origine ethnique, sociale, culturelle joue sur cette évolution des valeurs.
La nouveauté est pourtant vieille comme le monde, comme le dit le poète dans "Les enfants du paradis". Et si les modernes s'en prennent aux anciens c'est surtout pour conserver et reproduire leur appétit de richesse (qu'ils peuvent bien appeler confort, ou sobriété). Bourdieu observait ce rejet dans la jeunesse romantique au début du 19e MAIS avec des aménagements pour accepter en revanche les dotations de rentes par leurs parents, des procès pour réclamer des héritages etc.
Le mal va souvent malgré tout être ce qui affecte la vie, humaine du moins, enfin... de ses semblables immédiats, ou de celles et ceux qui nous attirent, envers lesquels le désir pourrait s'orienter... Ou la compassion avec un intérêt de rehaussement de notre image personnelle comme profit de ce désintéressement...
Mais le bien et le mal sont aussi liés à des mises à distance dans nos sociétés complexes, à des processus d'éloignement des conséquences des actes. Bauman, qui a analysé par la suite la liquidité des sociétés post-modernes, allaient plus loin qu'Arendt et rejoignait Derrida :
*Zygmunt Bauman analyse, en partie, le même phénomène qu'Hannah Arendt. Par ailleurs, l'écrivain polonais Tadeusz Borowski avait devancé par sa prose, et à sa façon, les idées de Bauman en les illustrant parfaitement par ses récits vécus à Auschwitz. Le système nazi est, selon Baumann, la réalisation la plus aboutie de l'idée de l'État moderne. Il peut être décrit comme une « normalité » qui va dans le sens d'un modèle parfait de notre civilisation et non comme une pathologie étrangère à l'humanité. Le caractère spécifique de la Shoah vient du fait que les idées démentes de l'élite du pouvoir nazi coïncidèrent avec le développement de la bureaucratie et l'utilisation du progrès technique dans sa plus froide rationalité. La différence entre les différents génocides connus dans l'histoire vient du progrès technique. D'une entreprise artisanale, on fait une entreprise industrielle. Du meurtre individuel hasardeux, mal organisé, on fait un meurtre anonyme, massif. Pour que le camp puisse fonctionner de manière optimale, le travailleur du camp ne doit se concentrer que sur la réalisation de sa tâche. L'utilité, l'efficacité remplace la morale21.
Selon Bauman, la civilisation moderne n'a pas été la condition suffisante de l'Holocauste, mais la condition nécessaire. Le monde rationnel de la civilisation moderne l'a rendu imaginable. L'objectif fixé : se débarrasser des Juifs. L'extermination physique est le moyen le plus efficace pour y parvenir. La suite n'est qu'un problème de coopération et de planification entre les différents services de l'État pour réunir : la technologie, le budget, les ressources nécessaires.
Il existe dans l'histoire de l'humanité des pogroms et des massacres perpétrés sans l'aide d'une bureaucratie moderne telle que celle de l'Allemagne en 1940. Mais pour l'Holocauste cette bureaucratie était indispensable et dans son absence ne pouvait se produire. Et cette bureaucratie était le produit de procédures bureaucratiques ordinaires : calcul des moyens, équilibre du budget, etc.22. Elle était organisée par des gens dits « normaux » comme Eichmann qui devaient résoudre des « problèmes ».* (Wikip. banalité du mal).
En fait on peut même aller plus loin encore pour comprendre que les biais cognitifs, et surtout la faiblesse cognitive, très courante d'ailleurs pour beaucoup et plus encore pour les plus jeunes favorisent, outre les manipulations volontaires (sectes, communautarisme, mouvements idéologiques), des glissements vers l'intégration à des groupes, à des affiliations rassurantes, accueillantes, avec un aveuglement corollaire sur le contenu, tant est important émotionnellement le contenant...
Avec également des sensations positives, l'impression d'avoir bien fait quelque chose (même s'il est au demeurant monstrueux vu de l'extérieur) : Comme d'avoir bien bosser pour maximiser les "unités" à détruire...
Les êtres humains sont très faibles, dépendant affectivement, et plus ils apparaissent comme fort et sûr d'eux, moins ils le sont réellement, S y s t é m a t i q u e m e n t...
Il faut douter ! Mais avec méthode