Mali, Tombouctou 6h du matin, Alexis sort de sa tente et s’étire en baillant, le dos endolori par une nuit trop courte, ce foutu lit picot de l’armée et surtout par sa rude journée de la veille. Il rejoint la plus grande tente qui fait office de cuisine, salle à manger, salle de réunion et le soir, salle de détente. Il pensait être le premier levé comme d’habitude d’où son surnom de "Lecoq", après tout c’est dimanche quand même, mais Magali est déjà là, sirotant son bol de café. Elle ébauche un rictus de lundi matin et lui dit:

“Alors Lecoq, je t’ai battu ce matin, ha ha ha”.

Il s'assoit, remplit lentement son bol de lait chaud et répond:

“ Oui qu’est ce qui t’arrive, un cauchemar t’a fait lever avant le soleil ?”

Magali: “Non pas un cauchemar, une prise de conscience, tu trouves pas que ce bénévolat à Médecins du monde ressemble de plus en plus à une arnaque ? j’en ai marre vois tu de bosser 14h par jour”

Alexis soupira et dit “C’est très dur oui, mais tellement enrichissant spirituellement que de mettre en actes les belles paroles du Christ ressassées en boucle au catéchisme. A quoi bon apprendre les valeurs du Catholicisme, si ça reste juste du baratin. On a déjà eu cette discussion avant de partir en mission.”

Magali grimaça et taquine “Oui Père Alex, je sais, je sais, aider son prochain, travailler dur dans la joie la bonne humeur, et patati et patata, sauf que 99% des gens ne font rien pour les autres, alors oui j’ai souvent l’impression d’être une espèce de rêveuse dont on exploite la générosité.”

Alexis haussa les épaules “ Mais oui bien sûr qu’on est peu nombreux mais n’as tu pas ta dose de récompense dans les yeux et les sourires des mères qu’on instruit ou dont on soigne les enfants ?”

Magali finit son café, se lève “Amen, mon Père, amen, tu m’énerves déjà un dimanche matin avec tes arguments sentimentaux auxquels tu le sais très bien j’adhère totalement. Allez je me douche et on ira vacciner les 200 personnes de cette tribu. Pour l’amour des Humains…”

Alexis sourit en savourant sa perpétuelle victoire sur son amie d’enfance , il avala son café, prit une tartine de pain, et lui dit moqueur “ Décidément t’es pas du matin toi, je te pardonne ma fille pour ton peu de foi, va en paix dans la lumière du Christ, ha ha ha”

7 h le réveil sonne, Magali s’étire en baillant et sent la merveilleuse odeur du café qu’Alexis a préparé. Elle s’arrache de la rudimentaire couchette du voilier pour rejoindre son ami, le bien surnommé “Lecoq”, déjà habillé, rasé et “ready for action”.

“Coucou Maggy, bien dormi ? le café est frais et j’ai fait des toasts, prenons des forces, la journée s’annonce longue, fatigante mais Oh combien exaltante”.

“Mais comment fais- tu pour avoir toujours la patate ? ces couchettes ne sont guère meilleures que les lits en Afrique, je rêve d’un hôtel avec un lit en 200”

“Ben justement on ne se lève plus pour bosser, on voyage depuis des semaines pour atteindre aujourd’hui l’atoll de Bikini. Tu te rends compte, on est au milieu du Pacifique, là où les ricains faisaient péter leurs bombes nuke”.

Encore embrumée et agacée par l’excitation d’Alex, Magali rétorque:

“Oui le pays de Bob l’éponge, sacré aventure en effet. Hé laisse moi me réveiller, déjeuner, me doucher, m’habiller, faire popo et mettre une poupée sur ce doigt que j’ai coincé comme une andouille hier. Après je serai Ops”.
Alexis sourit, habitué à l’humeur massacrante du lever de Magali:

“Oui on est pas pressés, mais on arrive dans 30 minutes environ , ha ha ha. Pense à ta collection de pierres, il parait qu’on trouve parfois des vésuvianites, notamment des cyprines, la fameuse pierre bleue de Norvège, qu’est ce qu’elles foutent là hein ?”

Magali est touchée à sa corde sensible, ses yeux s’éclairent soudainement:

“Mon Dieu, c’est vrai, ce mystère me passionne, allez je me dépêche".

Elle avala son café et partit à la douche, le croissant dans la bouche.

Alexis était heureux, il connaissait Magali tellement bien, il monta sur le pont pour préparer leur arrivée. Enfin des vacances plus que méritées après 2 mois de dévouement en Afrique. On devinait déjà au loin le petit Atoll si beau sans l'armée. ils vont réaliser un rêve de gosses, celui d'écologistes et anti nucléaire forcenés. Tout était prêt, compteurs Geiger, laboratoire de chimie portable, microscope, etc... leur documentaire devrait cartonner sur Youtube pensait il...

20 minutes, du lit au pont du bateau, en passant par le bol de café, c’est un temps record pour Magali déchaînée par l'idée d'être à Bikini.

“Regarde comme c’est beau, dire que les ricains faisaient péter leurs bombes ici dans les années 50” soupire Alexis en hochant tristement la tête.

“Hé ho ! ils ont bon dos les ricains, tu crois qu’on a fait mieux au Sahara ou à Mururoa 10 ans après ? “ rétorque Magali, bien réveillée et combative à souhait.

“Ha c’est clair qu’on a pas de leçons à donner question nucléaire, mais bon tout ça c’est de l’Histoire, on n’y peut rien changer. Notre objectif c’est de démontrer que depuis 1946, l’Atoll est toujours pollué par la radioactivité, on doit aller à la rencontre du responsable de Greenpeace qui bosse ici depuis des mois”

Ils accostent par un temps splendide et une mer d’huile et translucide, c’est si beau, avec cette jungle luxuriante et ces fruits généreux mais empoisonnés qu’on se dirait, “ben dis donc le Césium c’est bon pour la nature”

Aussitôt à quai, ils rejoignent le 4x4 de Greenpeace qui les attendait, un autochtone les accueillent:

“Bonjour, je suis Viriamu, bienvenu sur la terre de mes ancêtres, chassés par l’oncle Sam, vous êtes les 2 frenchies écolos de youtube, et bien on va faire en sorte que le bikini redevienne à la mode”
Magali et Alexis se regardent, stupéfaits par l’humour noir du jeune homme, embarrassés, ils ne savent pas s’ils doivent rire de sa blague.

Magali prend les commandes “Salut Viriamu, je suis Magali et voici Alexis, on va médiatiser mondialement l’histoire de ton peuple martyre et surtout demander aux USA d’assumer leur désastre.”

Il sourit et lui répond: “Oui médiatisons c'est souvent comme ça qu'aujourd'hui on rétablit les injustices du passé. Mais pour le reste, vous savez on se bat depuis 75 ans alors bon, …”

Et les voila partis en direction du petit aéroport où se trouve le laboratoire de Greenpeace.

Viriamu fonce sur la petite bande de terre de l’atoll qu’il connait par cœur, il est impatient de présenter ces 2 jeunes militants à son équipe, car il ne leur a rien dit, mais Greenpeace ici c’est lui. Il slalome entre les trous de la vieille route abandonnée de l’US Army.

Mag & Alex se cramponnent mais se régalent par cette vitesse inattendue après des semaines de douce navigation. Après tout ils sont jeunes, la vitesse les grise, le cadre est d’un tel romantisme qu’ils se regardent tendrement, complices et ivres de ce moment d’intense bonheur si longtemps attendu.

Evidemment à cette allure les voilà vite en vue du mini aéroport. Une petite tour de contrôle avec station météo, une piste d’atterrissage très courte en mauvais état, où sommeillent deux vieux Ceznas, et un très grand bâtiment aux façades décrépites. C’est tout ce qui reste de la base militaire US.

Une quinzaine d’autochtones les accueillent chaleureusement, notamment une superbe jeune femme d’une trentaine d’années, centre de toutes les attentions. Elle a de longs cheveux ébènes contrastant avec de malicieux yeux verts en amandes. Alexis est un peu troublé, ce qui amuse Magali qui le pince discrètement.

Viriamu la salue et se tourne vers nos aventuriers: ” Voici Ataroa, notre Reine, elle dirige l’ile, elle est aussi notre pilote d’avion, notre médecin et notre directrice de l’école.”

La reine Ataroa les regarde froidement et leur dit d’un air sévère:
“Alors c’est vous qui avez coulé le rainbow warrior, le navire de Greenpeace ?”

Mag & Alex se regardent stupéfaits, un ange passe, Alex déjà troublé devient quasiment stressé, du coup Magali gênée de représenter le pays naufrageur lui répond calmement:

. "Bonjour votre majesté, oui nous avons honte pour toutes les actions nucléaires de notre pays, mais pour le bateau, nous n’étions même pas nés, néanmoins pour ce que ça vaut, veuillez accepter nos plus plates excuses.”

. La Reine Ataora les fixe d’un regard perçant de rapace comme pour sonder leur sincérité, après d’interminables secondes:

“Hum, … Mieux vaut tard que jamais alors, on s’en contentera”

2e ange, puis d’un coup elle éclate de rire ainsi que toute la petite équipe. Arborant un large sourire découvrant des dents blanches comme de rares perles tahitiennes:

“Détendez vous je ne pouvais pas me priver de l’occasion de faire cette blague, soyez les bienvenus mes amis, je vais vous montrer vos quartiers, vous devez languir de vous reposer sur la terre ferme après un si long voyage.”

Mag & Alex sourient, partagent quelques chaleureuses poignées de mains puis suivent Viriamu et Ataroa vers l’entrée du dortoir. L’intérieur joliment restauré, contraste avec l’aspect extérieur vétuste, mais surtout la petite chambre décorée de photos historiques des essais nucléaires, du peuple chassé par la trahison de l’oncle Sam et de quelques portraits qui doivent être d’anciens rois & reines, les projette dans le tragique passé de l’Atoll.

Viriamu: ”Ataroa adore faire des blagues, installez vous et reposez vous, on se retrouve pour le souper et une sympathique veillée dans 2h, on bossera demain.”

Enfin seuls, ils se déchaussent et s’effondrent sur des lits dignes de ce nom, enfin une belle nuit en perspective. Alexis se tourne vers Magali :
“ Dis donc j’avais plus une goutte de salive, tu as vu la beauté de la Reine ? heureusement que toi tu gères”.

Magali moqueuse: “Allons père Alex, la chair est faible, ressaisissez vous, que Diable! ha ha ha. Mais as tu seulement remarqué la beauté de Viriamu ? ces gens sont magnifiques. Bon je vais dormir un peu”

Elle entend Alex qui ronfle déjà et s’endort à son tour... A Suivre

Viriamu fit un dérapage pour stopper la voiture au plus près du quai, le vent commençait à souffler fort, mais surtout les vagues devenaient de plus en plus violentes. Ils sautèrent du véhicule pour renforcer l’amarrage du voilier d’Alex. Magali en profita pour aller dans la soute récupérer leur matériel vidéo, juste au cas où,...

Ils pensèrent qu’il y a à peine quelques heures ils voguaient tranquillement sur une mer d’huile, ça leur apprendra à ne pas suivre de près la météo marine, jeunes insouciants chanceux.

De retour au Hangar, ils virent l'avion de la Reine qui finalisait son approche, elle jouait avec les courants d’air comme un insolite goéland, décidément il vaut mieux être du pays même pour piloter. Elle se posa magistralement, Alex : “Mazette, Quelle dextérité quand même”, Magali agacée, “ Oui certes, mais bon elle est née ici hein, alors pas de quoi s’extasier”. On sentait bien qu’une jalousie naissait à chaque remarque béate de ce grand dadet qui la regarda avec un sourire taquin, puis lui tira la langue.

Ils allèrent au devant d’Ataroa avec Viriamu, pour l’aider à sécuriser l’avion et prendre des nouvelles.
Viriamu: “ça se présente comment ?”

Ataroa: “Mal ! j’ai pas souvenir d’un tel cyclone, et le chemin de retour fut une aventure nouvelle et périlleuse, pfiou content d’être arrivée, allons vite en sécurité et tout bien fermer.” Se tournant vers les 2 jeunes, “C’est un cadeau de la France ?”, encore un ange qui passe, “ … hé ho, je plaisante hein, vous vous y ferez vite” . Elle avait le don de faire ses vannes avec un ton sérieux et pince sans rire qu’on avait quand même du mal à savoir si c’était du lard ou du cochon. Elle lut la perplexité et la peur sur le visage de Magali et Alexis qui flippaient de plus de plus “Ne vous en faites pas cet Atoll a survécu aux bombes nucléaires, ça n’est pas un peu de vent qui va le couler” dit-elle en rigolant. Sa confiance les rassura et ils rentrèrent dans leur chambre. Il était 22h et la nuit allait rendre l’expérience encore plus terrifiante...