Couleurs d’automne dans un regard d’enfant
La brume avait envahi les hauteurs du village. Un vent frais s’était mis à souffler, et petit Pierre frissonnait sous son t-shirt. Les arbres avaient revêtu une parure oscillant entre le doré et le rouge sang et les oiseaux migrateurs étaient partis pour des cieux plus cléments. Mais peu importe, Pierrot cherchait. Oui, il cherchait une feuille de platane, la feuille parfaite, la plus jolie, pour que Marjorie, la maîtresse, pousse un « oh ! » d’étonnement en la voyant.
En effet, Marjorie avait demandé à ses élèves de ramener une feuille de platane pour son cours sur l’automne. Et Pierrot voulait une feuille que les autres n’auraient pas, une feuille absolument unique, « the feuille » quoi ! car il était secrètement amoureux de la maîtresse. Comme presque tous les garçons de la classe d’ailleurs... Il faut dire qu’elle était belle Marjorie, avec ses cheveux roux-dorés tout bouclés, ses yeux châtains abrités derrière de longs cils, et ses taches de rousseur sur ses joues rebondies.
Seulement, pour trouver sa superfeuille, Pierrot s’était beaucoup éloigné du village, et le brouillard n’arrangeait rien. Il aurait bien voulu que son père l’accompagne, mais il était trop occupé en ce moment avec les vendanges, des ouvriers s’affairaient dans les vignes pour récolter les grappes aux grains gonflés de chair brune et de jus savoureux. «Va voir ta mère »! Lui avait-il dit, mais maman était occupée à confectionner une macédoine de fruits… Tous des lâcheurs ! pensait Pierrot tout en continuant ses recherches, faisant voleter sous ses pas légers des petites branches, des feuilles de toutes sortes et des herbes jaunies.
Et soudain il la vit. Sous un platane gigantesque, parmi plusieurs autres, elle était là. Délicatement, il la prit, la contempla, la tourna et la retourna, sa couleur jaune-roux était impeccable, elle n’avait aucun défaut, c’était bien sa feuille. Tout content, il partit en courant en direction de la maison, trébucha sur une pierre et tomba, écrasant la feuille avec son bras. Quelle déception… il revint penaud vers l’arbre, et prit une autre feuille. Finalement, elle était aussi belle que la précédente, Marjorie l’aimerait surement, se dit-il.
Dans la cuisine, sa mère mettait le couvert sur la table. Pierrot s’approcha d’elle et lui demanda pourquoi les feuilles prenaient cette couleur marron et tombaient des arbres.
-C’est le cycle de la vie mon chéri, les feuilles naissent au printemps, grandissent tout l’été, puis elles meurent en automne, tombent au pied de l’arbre et disparaissent dans la terre.
Pierrot resta songeur. Alors cette feuille était morte ? Du coup il ne la trouvait plus si jolie que ça.
Il la posa sur son petit bureau, prit son sac de billes et partit jouer dans le jardin.
Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux