Il souleva sans bruit la toile de la tente qui servait de réanimation post-opératoire. Six bambins dormaient, dont l’un d’entre eux encore sous respirateur. Il s’approcha de la veilleuse de nuit qui sauta de son relax en le voyant.
“Ils ont passé une bonne nuit, sauf le petit Minh que le Dr Niang n’arrive pas à sevrer du respirateur, on est très inquiet pour lui. par contre, votre appendicite dort comme un bébé”
“Bien, bien, bien ! Ouvrez pour aérer, c’est irrespirable ici, l’air du matin y’a vraiment rien de meilleur dans cette insupportable jungle” Ce pauvre Charles, originaire du Berry, ne s’était jamais acclimaté à la chaleur humide des tropiques, pour tout dire, il détestait ça. La jeune femme, une paysanne, ravie d’être devenue veilleuse de nuit dans l’hôpital de brousse itinérant des armées, s’empressa d’obéir. Une saine fraîcheur traversa la pièce et la clarté matinale envahit l’obscure tente. Pour le petit Minh, il n’avait plus une lueur d’espoir, une gangrène de la jambe allait l’emporter et il laissait son ami Birame, jeune anesthésiste de Dakar, lui procurer le confort de ses dernières heures, “merde on n’est pas des magiciens, ni des Dieux !” pensa t-il.
Giang Long, qu'on traduit par “Dragon du fleuve”, ouvrit les yeux, il avait environ 10 ans, qui sait ? l’état civil n’existait pas vraiment en 1947 en Indochine. Il reconnut le bon doc, il parlait bien le français grâce à la nouvelle école de son village “Toi té mon copain, plus mal au ventre”. Il lui prit la main, la secoua vigoureusement, puis l’embrassa. La morphine, c’est quand même l’invention du siècle. “veux voir maman, s’te plé, mon gentil docteur”. Son sourire illuminait la pièce, mais il était bien trop tôt pour autoriser des visites.
“Chut ! je dois d’abord tout vérifier, demain ! si tu es bien sage” Il savait bien que la fille de l’opium était parfois une traîtresse, cachant des symptômes de complications. Il l’examina “Voyons ça, … Hum, pas de fièvre, le pouls est fort et clair, … au ventre maintenant”. Il palpa délicatement, le minuscule abdomen sans graisse du dragon du fleuve, quelle merveilleuse souplesse, tous les voyants étaient au vert. Il dicta ses consignes “ Supprimer la morphine, d’ici ce soir et voir avec Niang si l’arrêt est possible pour la prochaine nuit, sans elle je saurais s’il est tiré d’affaire”
La jeune femme avait tout noté et hocha la tête plusieurs fois sans un mot, Charles vérifia ses notes, même si Maï Lan était douée, il n’y avait qu’un an qu’elle faisait plus office d’aide-soignante que de simple veilleuse, à la guerre, comme à la guerre, pas le choix ! “Parfait, parfait, tu finiras infirmière ma chère, continue à apprendre, le français et la médecine, on compte sur toi désormais”
Son large sourire découvrit une ligne de perles nacrées, elle aimait bien cet étranger, il avait du respect pour elle et pour tous ces enfants, elle savait que derrière ses manières rustres de chirurgien militaire, se cachait un cœur en or. Elle l’avait su à la première minute où elle l’avait vu courir pour sauver une petite fille d’un bombardement foireux, et un tel acte ne trompe pas sur la nature profonde de l’homme. Ses cheveux et son regard ébènes étincelaient, au point que Charles fut troublé ce matin,... une petite flamme venait-elle de s'allumer ?
On ne le saura jamais
FIN