Gégé c'est qui ? Un aubergiste grognon et à qui il arrive que de malheurs. Son auberge est située non loin d'une usine à pop-corn. Et bien avouer que le temps est long du fait de la fermeture de ces lieux de vie. Heureusement qu'il m'a comme ami. Je vais souvent lui rendre visite. Et rien ne change ; c'est toujours la même rengaine : que des malheurs. Une de mes dernières visite dans son auberge...
- Hello, Vieux. Alors, comment ça va depuis la dernière fois ?
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- Salut, Zébu. Bof. Regarde avec qui je suis obligé de tuer le temps...
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- Mais, c'est un poster !
- Justement. C'est un poster que j'ai mis en face de moi. Il s'appelle Marcel. Comme le confinement c'est encore pire qu'avec les dingues, autant que je cause avec un collègue qui ne me gonfle jamais. Au moins quelqu'un avec qui causer dans cette auberge de malheur. Hein Marcel, qu'on s'éclate bien !
Comment veux tu qu'il me gonfle sachant qu'il ne dit jamais rien. En plus il est toujours content. Hein que c'est vrai, Marcel ? Le seul soucis est que le mur est humide. Tu penses quand même pas que je vais mettre du chauffage pour zéro client. Déjà qu'il n'y a pas de sou qui entre, alors hors de question de chauffer les souris. Et ce n'est pas Marcel qui va payer une tournée. Il n'a jamais froid de toute façon. Le problème est l'humidité des murs. Il déteste ça le Marcel, l'humidité. Les punaises fichent le camp la nuit quand ça gèle. Du coup il tombe par terre. Et le matin, il faut le raccrocher au mur avec une dent en moins. Il va falloir que t'arrêtes de perdre tes dents en tombant, Marcel. 100 fois que je te le dis. Après quand je te regarde en buvant un coup, je n'ai plus du tout envie de boire. Je ne vais quand même pas t'accrocher avec des clous.
Je t'aime bien mais il ne faut pas pousser. T'es pas Jésus à ce que je sache. Déjà que j'ai reçu sa croix sur ma tête en pleine nuit. Il a fallu qu'elle aussi se décroche du mur. Pile au dessus de ma tête. Du coup j'ai changé de place le lit. Et comme par hasard, pile où se trouve le courant d'air. Alors obligé de rajouter une 4éme couette et un 2ème oreiller pour me couvrir le tête avec. Et au bout de la dixième fois que la croix est tombée, elle est restée par terre. Elle ne pourra pas tomber plus bas. De toute façon elle est cassée. Comme un con, un matin vaseux j'ai marché dessus. Ce qui m'a coûté un clou planté dans le pied. La croix a fini dans le mur, cassée en deux. Et là ça ne sentait pas bon du tout. J'ai bien vu que Jésus n'a pas aimé. Jésus avec le regard du diable, il fallait vite trouver une solution.
Heureusement que tu étais là, hein Marcel ? A chaque fois que je te regarde en buvant mon café, tu m'inspires avec force. Sur ce que coup-là, ton idée était magnifique pour faire retrouver un regard normal à Jésus. Comme la croix était en deux morceaux, ces deux bouts de bois ont été parfaits pour en faire des bâtons de ski. Et hop, Jésus dans un aquarium en train de skier sur une dune ! Au moins l'aquarium sert à quelque chose depuis que les poissons n'y sont plus. Ne ne me pose pas la question, on me les a volés. Au moins le sable ne fond pas comme la neige et Jésus est content. Lui au moins peut skier. Et à noël c'est encore mieux. Les santons tiennent mieux dans le sable, même si on les voit à peine. A mon avis les fèves des galettes des rois sont trop petites. De toute façon je ne pouvais pas mettre plus gros. Déjà que Jésus prend presque toute la place dans l'aquarium.
Hein qu'on fait une belle équipe, Marcel ? Bon, je sais, avec toi aussi je t'ai marché dessus un matin vaseux. Et une punaise plantée dans le pied et toi qui a volé contre le mur. Tu étais quand mieux encadré. Bon, c'est vrai qu'avec les bouts de bois du cadre, j'aurais pu te mettre dans l'aquarium avec Jésus pour skier ensemble. Oui, mais avec qui je cause, si plus personne en face de moi, hein ? Tu me comprends, j'espère ? Je sais, je sais, tu me l'as dit 100 fois que tu aimerais bien retrouver ton cadre. Mais moi, ton cadre il me gonfle ! Il t'alourdit ! Du coup en plus de te casser la gueule la nuit, c'est aussi le jour. Je préfère que tu tombes léger la nuit. Et je ne suis pas prêt d'oublier quand à cause de ton poids, tu es tombé pile au moment où je mangeais ma soupe. Tu sais que tu as failli me tuer ce jour-là, à cause d'un morceau de verre du cadre qui a atterri dans ma soupe ? Alors le mieux est que tu restes au régime.
Puis un jour, j'aimerais bien que tu répondes à ma question. Pourquoi dans ton dos est griffonné Picasso ? Qu'est ce que t'as à voir avec les Citroën ? Et ça m'étonnerai que tu as un lien de parenté avec le peintre. Et encore moins qu'il t'a peint. De toute façon je l'ai effacé au marqueur pour graver "Marcel" à la place. Je préfère causer avec quelqu'un qui porte le bon nom. Sinon ça me perturbe. Et plus ça me perturbe, moins j'ai soif. Boire, y a que ça qui sauve en ce moment. On oublie les dingues de cette usine de malheur et la Covid. D'ailleurs je me demande si ce ne sont pas eux qui ont balancé cette merderie sur le marché. Même confinés ça n'arrêtent jamais. Il faudra que je chope un des ouvriers pour savoir si mes soupçons sont fondés.
Bon, Marcel, il est temps de faire la dorme. Et ça commence. Pourquoi il y a déjà une punaise qui a fichu le camp ? Maintenant t'es tout biseauté. A mon avis t'es encore trop lourd. Et moi qui pensais qu'avec tes dents en moins ça allait le faire, ça ne fait rien du tout, toujours trop lourd. A mon avis je vais découper ton béret au ciseau. Hein ? Tu veux pas que je touche à ton béret ? T'inquiète, le Gégé a toujours de bonnes idées. Je vais dessiner un béret sur le mur. Comme ça on le verra à la place du trou. Même toi tu vas y voir que dalle. Et puis ça suffit tes crises ! J'y peux rien si t'es trop lourd et que le mur ne tient pas les punaises ! Pour la peine tu vas dormir de travers cette nuit. De toute façon tu vas encore te casser la gueule. Tu tiens pas la nuit avec 4 punaises, alors ce n'est pas avec 3. Et il faudra bien un jour que je récupère celles qui se baladent je ne sais où dans la salle. Pire que des puces, ça saute partout quand ça tombe et impossible de mettre la main dessus. A force la boîte de punaise sera vide. Et je t'accroche comment si la boîte est vide, hein ? Avec de la colle, tu dis ? Bon, si c'est pour dire des conneries, je te fais tomber de suite. Combien de fois je t'ai dit que la colle c'est encore pire, elle arrache la peinture quand tu tombes ! Et qui passe une heure ensuite pour te gratter le dos histoire d'enlever la colle et la peinture, c'est Gégé. Alors maintenant ça suffit, tu dors ! En parlant de ça, il serait bien qu'un jour tu te décides d'ouvrir enfin les yeux. 100 fois que je te le dis. Je sais jamais quand t'es lucide. Et ça aussi, ça me perturbe. Alors j'aimerais que tu m'écoutes quand je te cause. Exceptionnellement, cette nuit tu vas dormir avec la lumière. Pourquoi, tu dis ? Vu que tu te décroches chaque nuit, je vais voir si avec la lumière ça règle le problème. Et cesse de tirer la tronche ! Et dors ! Si ce n'est déjà pas fait. Tu vois que ça me perturbe tes yeux fermés. Je sens qu'un jour je vais les découper au ciseau. Avec les trous on verra le blanc du mur. Donc les yeux ouverts. Et la nuit tu auras deux rustines pour les fermer. Tu ne veux pas non plus ? J'ai dit de cesser tes crises ! Et c'est parti, une 2ème punaise qui vient de sauter. Maintenant t'es tout en boule. C'est décidé, demain je t'allège ! Et ne commence pas à criser ! Merci.
- C'est ça que j'aime bien chez Marcel, Zébu. Plus tu l'engueules, plus il est content. Toujours le même air enjoué.
- Je vois ça. Bon, si on buvait un coup plutôt ?
- Bonne idée. Il faut entretenir la joie.