Un sujet sympathique répondant au titre « Qu’est ce que vous n’avez jamais fait » a été créer. Des choses dîtes basiques que nous ne faisons pas alors que pour la plupart des gens « c’est juste normal ».
Si nous inversions les rôles ? Qu’est ce que vous avez fait d’insolite, d’original, de fou, de complètement con tout en supputant qu’aucun membre du forum n’a pu le faire ?
Si le « moment de gloire » est validé comme « non réalisé par les autres membres » une récompense sera offerte par Egon.
Evidemment il convient pour moi de mettre la main à la patte et de présenter le moment phare d’un petit bouseux des campagnes.
Le profil du bonhomme :
Peu confiant, stressé de tout, casanier, branle-bas de combat général si un grain de poussière enraye la machine (bah oui la semaine c’est lecture à 22h alors si on me propose une quête annexe et que je n’ai pas fini mon chapitre ça chie des bulles opaques).
Bref n’en faisons pas des caisses (trop tard), concrètement nous ne sommes pas sur un type qui respire la soif de l’aventure et de partir la fleur au fusil à faire des photos au Kenya voyez-vous.
Et pourtant.
Le contexte :
Il y a fort longtemps dans un monde alternatif, jeune branlotin casquette au vent, j’ai fait partie d’une petite bande de foufous du dimanche, un groupe de supporters de l’Olympique de Marseille (le foot tout ça tout ça). Sauf que le « virus » a pris à ce point que j’ai commencé à partir en « excursion » avec quelques compagnons de ma région pour enchaîner les allez et retour à Marseille.
Encarté dans ce groupe j’ai eu l’occasion de faire face à l’une des choses pour lesquelles je n’ai jamais été à l’aise : Faire face à la foule. Imaginez-donc, même aujourd’hui si on me dit « tu viens ce soir ? » je suis foutu de répondre « y a combien de personnes ? » Si le chiffre est supérieur à 5 y a négociation hein.
Alors si je vous dis que j’ai fais le fanfaron dans des stades avec 80 000 personnes on se dis « bah faut savoir ducon » et vous auriez raison. Mais voilà, un engrenage d’une passion, la « confiance » d’un petit noyau dur de compagnons, la sensation d’être pleinement intégré et à la fois extérieur à tout ce bordel ça donne des trucs bizarres.
Alors jusqu’ici ça patine dans la semoule, il est gentil le garçon mais on s’en branle. Oui mais non. Attendez-donc cinq minutes.
Le contexte se précise :
Ce groupe de supporters que je rejoignais au stade avait plusieurs jumelages avec des groupes de supporters européens. (Quelque chose d’assez courant dans cet univers, un tel groupe est ami avec tel groupe du Danemark, un tel groupe est ennemi avec celui de Turquie etc et avec Internet les contacts se font facilement contrairement aux années 90 ou les mecs s’envoyaient des lettres postales en janvier « salut quoi de neuf en Russie ? » et recevait la réponse le jour de L’armistice. Et « mon » groupe avait un jumelage avec un groupe de Grèce. Des supporters d’un club athénien. Et devinez-quoi. Par le jeu « presque » du hasard je me suis retrouvé 1 an après en Grèce. En voyage.
Athènes et le foot ? La folie. La religion. La guerre.
Pour simplifier pour les néophytes : En Grèce, 3 clubs principaux : Les rouges, les jaunes et les verts. Le groupe marseillais à un jumelage avec les jaunes. Les rouges et les verts ne sont pas très gentil par contre.
Chaleur dans mon slip :
Dans des ruelles marchandes proches de la capitale athénienne je flâne avec un ami. 2 ou 3 commerçants qui essayent de vendre un porte-clé du Parthénon en plastique à 200 balles, moi qui tente de communiquer en anglais « hello it’s wonderful here » bref la putain de routine. Je porte une veste du groupe de supporter Marseillais qui a un jumelage avec les jaunes d’Athènes. (Vous suivez n’est-ce pas ?)
Puis un cri. Agressif. Deux cris. Je me retourne. Un petit trio d’athénien passablement énervé m’interpelle moi. Moi ? Le bouseux des champs qui a découvert Internet 8 ans après tout le monde ? Ils pointent du doigt ma veste et je comprends. Je comprends d’une part que ma faute de goût de porter une telle veste peut être suicidaire si je croise les mauvais types. (Les rouges ou les verts) Je sens d’instinct les effluves de popo se glisser dans mon jean délavé. Puis dans un discours mi-anglais, mi-français, mi-je sais pas quoi, je comprends qu’ils font partie d’un groupe puissant. Celui des jaunes. Donc les grands amis de Marseille. Ils me tapent dans le dos, me disent que je suis leur ami pour la vie, l’un des mecs à son père qui tient une boutique dans la rue marchande et me propose d’aller bouffer chez eux.
Bon j’accélère parce que je me rends compte que j’ai fais 6 pages et que la conclusion n’est toujours pas en ordre de marche. Du coup, voilà, je passe du statut de victime potentielle à prendre un vilain coup à « Seigneur français invité par mes hôtes ». Les mecs me font comprendre que « demain » il y a match ! Les jaunes ! Dans leur antre. Dans leur stade à l’ambiance survoltée. Je reçois l’invitation en bonne et due forme. J’accepte. Merde la classe un petit match de championnat en Grèce chez les fous.
Chaleur dans mon cul :
Je m’attends donc à aller voir un match de championnat de Grèce incognito ce qui est assez sympa sur la carte de visite de quelqu’un qui cultive le goût des ambiances dans les stades. Mais « incognito » ne sera pas vraiment le mot adéquat.
Le gugus athénien qui me prends sous son aile m’attends de pied ferme et celui-ci connaît sans l’ombre d’un doute les membres de la tribune. Et parmi ceux-ci les « leaders ». Par « leaders » comprendre les responsables d’un groupe, ceux qui sont amenés notamment à faire face à une tribune excitée de plusieurs milliers de personnes. Certains de ces « leaders » sont appelés : Les « capos ». Ce sont les mecs micro en main ou mégaphone qui lancent les chants, coordonnent la frénésie et font monter la température jusqu’aux excès en tout genre.
Mon « guide » athénien me présente à quelques têtes bien connu de la diaspora grecque, je suis le « marseillais » et je suis accueilli d’une simple tape dans le dos amical ou d’un mot gentil. Certains à la volée me propose des rasades d’Ouzo, une sorte d’alcool national si bien que 15mn plus tard je suis moitié bourré et les « réserves » s’évadent peu à peu et je fais mine d’être un dur. Alors que quelques jours auparavant j’ai gueulé auprès de ma mère qu’elle ne mettait pas assez de concentré de tomates dans mes nouilles.
J’entre dans la tribune, les esprits sont déjà échauffés. Pas besoin d’être un visionnaire pour comprendre que le panorama qui m’entoure n’est pas composé d’enfants de chœur et que le moment est mal choisi pour dire que j’ai réalisé ma communion de foi et que j’ai beaucoup aimé le single You're My Heart, You're My Soul des Modern Talking. Mais derrière les vapeurs de l’alcool et l’encadrement de mon « guide » j’avance tambour battant au milieu de cette fresque pas rassuré pour un sou mais désireux d’offrir l’illusion d’être dans mon élément. Puis la gloire vint à moi pour m’envelopper dans ses bras.
L’entrée au Valhalla
Perché sur une nacelle en hauteur, faisant face à la tribune des « grecs en chaleur », deux leaders. Ils descendent saluer et discuter avec mon petit guide puis me regarde. Puis l’un des deux leaders descends de la nacelle. Et l’autre toujours perché dedans se met à faire un discours pour haranguer les foules.
Le discours : fjsofj fzefipe fsopifs dzd,fpâdz zofpjz (Bon en gros on va dire que c’est du grec. Moi du coup je n’ai rien compris mais ce que j’ai compris en revanche c’est qu’une fois que le mec a arrêté de parler j’ai vu des centaines et des centaines de têtes se braquer vers moi)
J’en ai donc déduis que le type me présentait gentiment à la foule comme étant le français de Marseille. Et donc l’allié et l’ami peu banal de la tribune. Le regard joueur de mon petit guide et une petite tape dans le dos plus tard, j’ai levé la main « pour faire coucou » à la tribune. J’avais l’impression d’être Chirac en Palestine. En retour, un nombre incalculable de mains se sont mises à m’applaudir.
Sérieusement ?
Et puis l’impensable. Le leader dans la nacelle dans les dernières minutes qui précédent le match me fait signe de venir grimper avec lui. Je grimpe. J’ai autant de souplesse qu’un dindonneau qui s’essaye au saut en hauteur mais je grimpe tant bien que mal dans cette fichue nacelle ou faut se contorsionner pendant 3 plombes. Il me passe son micro. La dernière fois que j’ai eu un micro dans les mains à ce moment là ça devait être pour une soirée à la salle des fêtes pour fêter les 50 ans de mariage de tata Yvette alors bon la sérénité et moi à ce moment-là hein.. Et je vous renvoie au début de mon texte. Mais bon l’alcool avait dû faire quelque peu effet ce soir-là si bien que j’ai saisi le micro sans même me chier dessus.
Il me fallait lancer un chant. Entraîner la foule des grands soirs et les motiver pour embraser la tribune. Charismatique et sûr de ma force, j’ai enchaîné 1h et j’ai rendu plusieurs milliers de personnes fous et en transe. Certains voulaient me naturaliser grec, certaines femmes voulaient donner mon nom à leurs futurs gosses. Et tout cela n’était qu’un rêve.
Car en vérité au moment de pousser la chansonnette, mon poignet droit tremblotait autant qu’une manette analogique vibrante de couleur noire. Connaissant malgré tout le répertoire et les refrains et doté d’une voix plutôt grave j’ai été horrifié de constater qu’en poussant mes cordes vocales au max, la sonorité qu’expulsait le micro était digne d’une crécelle qui mouillait la culotte sur les Worlds Apart. Mais voilà, malgré tout à base de « la la laaaaaaa laaaa turlututu barbu bouffe moi le cul » etc etc j’ai entraîné un boucan indescriptible et des chants repris à l’unisson + en option des applaudissements nourris. Sensation peu commune.
La conclusion:
3 jours auparavant je donnais des petits morceaux de pain aux canards dans ma campagne et je faisais décoller des coccinelles aux ailes brisées dans un cadre champêtre.
3 jours plus tard je donnais le tempo pour faire chanter quelques instants des milliers de grecs défoncés du bulbe.
Ascenseur émotionnel bien le bonsoir.