@egon j'ai commencé à le lire... un jour...
le pire pour moi c'est La nausée de Sartre, mais Crimes et châtiments figure en bonne place dans la liste des bouquins que je n'aime pas.
Heureux les fêlés...
Être dans le vent c'est avoir une ambition de feuille morte
J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tâté autour de moi pour trouver mon portable. Il était posé entre mon sac à dos et mon ventre. Les doigts livides et tremblants, j’ai essayé d’appeler maman.
Pas de réseau.
J’ai essayé Ronnie.
Pareil.
911, numéro d’urgence.
Rien.
J’ai essayé Jane. Dani. Tous ceux qui me venaient à l’esprit.
Aucune barre réseau. Pas de service disponible.
J’ai repris ma respiration en essayant d’étouffer mes sanglots. J’avais des picotements dans les bras et les jambes à cause de la montée d’adrénaline, de la panique, mais j’ai réussi à me calmer. J’ai entendu des cris dans la rue, des alarmes de voiture, des gens qui parlaient… Une sirène de police bloquée. Un appel à l’aide. Et plus loin, je crois, le feulement du nuage en forme d’entonnoir qui s’éloignait.
Toute mon enfance, on m’avait dit et redit ce qu’il fallait faire en cas de tornade : écouter les sirènes, se réfugier à la cave, au sous-sol, dans un placard au milieu de la maison, et se pelotonner, se protéger et attendre. À l’école, nous avions des alertes deux fois par an depuis toujours. Nous en discutions en classe, à la maison. La météo ne cessait de parler de tornade.
Mais jamais – pas une seule fois – on ne nous avait dit ce qu’il fallait faire après.
Car jamais personne n’avait imaginé qu’il y aurait un après comme celui ci.
La pluie et le vent ont duré une éternité. Il faisait toujours très sombre, mais le ciel s’était suffisamment éclairci pour que je distingue la torche qui avait glissé sous le billard.
Kolby ! Et si je lui téléphonais ? Je pourrais peut-être appeler maman avec son portable ? Lentement, j’ai déplié les jambes et, après un moment d’hésitation, j’ai rampé pour quitter mon abri sous la table et je me suis levée.
De l’autre côté de la cave, au-dessus de l’établi de Ronnie qui avait disparu, le plafond avait explosé. Le carré sur lequel je me tenais quand je cherchais ma torche un quart d’heure plus tôt était noyé sous une pile de décombres. La cuisine s’était écroulée, les murs n’existaient plus, les assiettes étaient tombées de leurs étagères, tout avait été détruit et réduit en une pile de gravats sur le sol de la cave. J’ai même aperçu le ciel à travers l’ancien emplacement de la cuisine, avec des bouts de fils et de tuyaux brisés. De l’eau giclait de quelque part.
– Oh mon Dieu ! me suis-je exclamée en tremblant. Oh mon Dieu !
J’ai fait deux ou trois pas vers les gravats, mais plus j’avançais, plus je voyais de ciel. La cuisine avait complètement… totalement disparu.
J’aurais pu traverser les décombres et remonter pour sortir, mais la vue de la cuisine en ruine me paralysait, surtout avec tous ces fils nus et saillants. J’étais clouée sur place. L’escalier qui menait à la cave n’avait pas bougé. Mon petit doigt me disait que je n’avais qu’à monter pour me retrouver à la maison. Le reste du rez-de-chaussée était sûrement en meilleur état que la cuisine.
Le sofa avait été projeté contre le tas de décombres, renversé sur le côté. Des tas de vêtements gisaient partout.
J’ai jeté un œil sur mes mains et j’ai vu que j’avais les doigts couverts de sang séché. J’ai glissé mon portable dans ma poche et tâté le haut de mon crâne. Mes cheveux étaient collants et bizarrement crêpés, mais je n’avais pas mal et je ne saignais pas. Je devais avoir à peine une égratignure. Je pouvais attendre le retour de maman. Tout s’arrangerait quand elle rentrerait.
Extrait de Tornade de Jennifer Brown.
Extrait de Leitmotiv
L’interrogatoire n’était pourtant pas le pire. Le pire c’était le retour à ce néant, juste après, dans cette même chambre, devant cette même table, ce même lit, cette même cuvette, ce même papier au mur. Car à peine étais-je seul avec mes pensées, que je me mettais à refaire l’interrogatoire, à songer à ce que j’aurais dû répondre de plus habile, à ce que je devrais dire la prochaine fois pour écarter le soupçon que j’avais peut-être éveillé par une remarque inconsidérée. J’examinais, je creusais, je sondais, je contrôlais chacune de mes dépositions, je repassais chaque question posée, chaque réponse donnée, j’essayais d’apprécier ce que leur procès-verbal pouvait avoir enregistré, tout en sachant bien que je n’y parviendrais jamais. Mais ces pensées une fois mises en branle dans cet espace vide, elles tournaient, tournaient dans ma tête, faisant sans cesse entre elles de nouvelles combinaisons et me poursuivant jusque dans mon sommeil. Ainsi, une fois fini l’interrogatoire de la Gestapo, mon propre esprit prolongeait inexorablement son tourment avec autant ou peut-être même plus de cruauté que les juges, qui levaient l’audience au bout d’une heure, tandis que dans ma chambre cette affreuse solitude rendait ma torture interminable. Autour de moi, jamais rien d’autre que la table, l’armoire, le lit, le papier peint, la fenêtre. Aucune distraction, pas de livre, pas de journal, pas d’autre visage que le mien, pas de crayon qui m’eût permis de prendre des notes, pas une allumette pour jouer, rien, rien, rien. Oui, il fallait un génie diabolique, un tueur d’âme pour inventer ce système de la chambre d’hôtel. Dans un camp de concentration, il m’eût fallu sans doute charrier des cailloux, jusqu’à ce que mes mains saignent et que mes pieds gèlent dans mes chaussures, j’eusse été parqué avec vingt-cinq autres dans le froid et la puanteur. Mais du moins, j’aurais vu des visages, j’aurais pu regarder un champ, une brouette, un arbre, une étoile, quelque chose enfin qui change, au lieu de cette chambre immuable, si horriblement semblable à elle-même dans son immobile fixité. Là, rien qui puisse me distraire de mes pensées, de mes folles imaginations, de mes récapitulations maladives. Et c’était justement ce qu’ils voulaient – me faire ressasser mes pensées jusqu’à ce qu’elles m’étouffent et que je ne puisse faire autrement que de les cracher, pour ainsi dire, d’avouer, d’avouer tout ce qu’ils voulaient, livrant ainsi mes amis et les renseignements désirés. Je sentais que mes nerfs, peu à peu, commençaient à se relâcher sous cette atroce pression du néant, et je me raidissais jusqu’à la limite de mes forces pour trouver, ou pour inventer une diversion. En guise d’occupation, je récitais ou reconstituais tant bien que mal tout ce que j’avais appris par cœur autrefois, chants populaires et rimes enfantines, passages d’Homère appris au lycée, paragraphes du Code civil. Puis j’essayais de faire des calculs, d’additionner, de diviser des nombres quelconques. Mais dans ce vide, ma mémoire ne retenait rien. Je ne pouvais me concentrer sur rien. La même pensée se glissait partout : que savent-ils ? Qu’ai-je dit hier, que dois-je dire la prochaine fois ?
Extrait de Le joueur d'échecs de Stefan Zweig.
Voilà, vous pouvez à présent voter pour votre extrait préféré %(#FD3F92)[**Je vote pour LeaPierce**] %(#91283B)[**Je vote pour Leitmotiv**]
Vous avez jusqu'à demain 12 juin à 19h, soit 24h, pour faire votre en choix en copiant le code qui correspond.
Bonne lecture ! :books:
(Je ne pourrai pas donner les résultats tout de suite mais je ne prendrai pas en compte les votes après l'heure fixée)
Le choix est difficile pour moi, car j'aime le style de Stefan Zweig, cependant le récit dans l'extrait de "Tornade" est très structuré.
Les deux extraits expriment bien ce moment de solitude, mais il faut choisir, donc :
J'adore Le joueur d'échecs, je l'ai d'ailleurs relu dernièrement. Et cet extrait est très bien choisi, et tellement bien écrit ! Dans le style il est au-dessus.
Mais l'autre extrait m'a pétrifiée, cette solitude dans l'horreur... :cry:
L'extrait de Zweig est formidable mais je trouve qu'il réussit moins bien à prendre aux tripes, à faire ressentir cette solitude, là où Brown réussir à me faire vivre cette détresse.
The only thing I do know is that we have to be kind. Please, be kind. Especially when we don't know what's going on.