Si je vous dis que j’ai failli être champion du monde ?
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Option 2 Explique-toi mon con
Le poker.
Si tu es encore là c’est que tu as choisis l’option numéro 2. Je te remercie.
Alors le poker.
Le poker ce petit jeu de cartes de bâtards ?
Le poker ce sport de génie ?
Avant d’expliquer pourquoi je suis presque champion du monde de poker, je tiens à dire aux amateurs de brelan de 8 de se réjouir. Oui, vous, les aficionados et les connaisseurs, réjouissez-vous. Quand vous souhaiterez commenter la dernière partie de Phil Hellmuth ou la relance de Daniel Negreanu à la River, vous avez désormais votre topic. Pour les autres, à savoir quasi tout le monde, ne pensez pas que j’écris un paquet de merde ou un charabia sans queue ni tête car voici un bref résumé du poker pour les néophytes :
Le poker est un jeu de cartes. Certains petits malins en font leurs professions. Ce sont des joueurs de poker professionnels. Voilà. Fin de l’histoire. Sinon pour sa variante la plus connue, le Texas Hold’em, l’affaire est simple, vous recevez deux cartes. Vous faîtes gaffe que le petit voisin ne regarde pas. Vous avez tous le même pognon autour de la table. Le but du jeu c’est de faire des combinaisons avec 3 cartes communes à tous les joueurs, puis une 4éme, puis éventuellement une 5éme si vous êtes des chauds. Il faut miser avant les 3 cartes communes, ou pas, relancer, ou pas, bluffer comme un cochon, ou pas, simuler des mains faibles, faire le petit soumis alors qu’on a un monstre en main, se coucher, relancer, miser, checker, bref c’est trop le bordel d’expliquer. Patrick Bruel vénéré et vénérable champion du monde français dont aucune vidéo n’a capté ce moment de gloire vous enseignera le reste grâce à son DVD de 2001.
Pas le temps de niaiser j’enquille avec mon opinion et mon avis sur le sujet au travers une anecdote rutilante et tout à fait personnelle qui illustrera donc de la manière la plus soyeuse possible ce topic.
Ancien joueur d’assez haut niveau de poker (j’ai remporté 54 euros en 2008 sur un tournoi), c’est aux alentours de 2010, peut-être avant, peut-être après je sais plus, que j’ai connu assez paradoxalement mon heure de gloire mais aussi mon chant du cygne au niveau du poker.
C’était un dimanche du mois de juin. Je me souviens. Il ne faisait pas 47 degrés comme aujourd’hui. Ho ça non. C’était l’époque ou la Terre tournait rond. L’époque où j’avais les dents presque blanches. Le parfum de la lavande s’engouffrait par la fenêtre. La belle époque. Non ça c’est pas vrai car pour être honnête ce jour-là j’avais à côté de mon petit bureau mon pot-à-pipi. Une boite de café vide qui me servait en cas d’urgences. Car un marathon m’attendait ce dimanche-là.
Mais pas si vite.
Une ou deux journées auparavant j’avais participé à un petit tournoi de poker sur internet sans prétention. Ce tournoi coûtait 5 euros l’entrée. Moi chui un bourgeois. J’ai payé cash le ticket d’entrée. Nous étions 867 sur la ligne de départ. Les 8 premiers gagnaient tous la même chose. Un ticket d’entrée pour un tournoi à une centaine d’euros. Payer un ticket à 100 euros directement ça m’était impossible. Mais payer 5 euros pour espérer me qualifier et être dans les 8 pour intégrer un tournoi à 100 balles l’entrée ça oui ! Bref j’espère que c’est clair parce que je crois que je commence à patauger dans la semoule.
Bon.
Je vous le donne en mille je fini dans les 8. Une masterclass, je joue libérer, la chatte est au rendez-vous, ça reste du poker sur internet mais ça fait plaisir dans la zezette comme on dit. Et donc j’accède à l’élite de la nation pour le dimanche suivant. Un gros tournoi de poker des familles à 100 euros l’entrée avec un millier de participants. Titan Poker est en éruption, Titan Poker est en érection. Et moi aussi. Car ce soir c’est un soir de ligue des champions. Et j’ai envie d’être le Real Madrid.
Pour ce tournoi prestige, 1000 requins, 10 lots en ligne de mire pour les récompenses. Grosso merdo et je dis bien grosso merdo (car tous mes chiffres, montants, gains sont très approximatifs et que je simplifie plus que de raison pour les besoins de la narration), les gains étaient faramineux, c’était une opération spéciale de Titan Poker truc machin. Bref les 1er et 2éme avaient d’assurer un billet d’avion pour Las Vegas, une nuit d’hôtel au Bellagio de Las Vegas et suffisamment de pognon en cash pour participer à une manche pré-qualificative du championnat du monde !!!! Les suivants au classement, des billets d’avions, une nuit d’hôtel mais moins de pognon, etc etc et le 9éme et le 10éme du tournoi sans doute un poster, un porte-clé merci au revoir. Bref, ça envoyait du gros bébé.
Donc le dimanche matin j’attaque pied au plancher sans espoir démesuré mais avec tout de même l’espoir d’enquiquiner les gros joueurs puisque mon pot-à-pipi n’a pas été placé à côté de moi par hasard. Je prévois une longue guerre des nerfs. 1000 participants, 10 places à gros enjeux, surtout les 6 premiers, un niveau relevé, je joue relâcher du slip. No pression. Et ça fonctionne. J’envoie tapis toutes les 30 minutes. La chance est là. Je double, je triple, je quintuple ma petite cagnotte. On arrive à la 1ére pause réglementaire, le pot est rempli. 300 mecs sont éliminés. Je suis 2éme au classement. Il est 12h10 du matin. Je suis en course pour m’envoler à Las Vegas et être à la table des joueurs professionnels. Mais c’est le début. Je ne réalise pas. Je prends tout ça à la rigolade. Je prends même en photo mon pseudo et mon classement pour “le souvenir”, pour la déconne, pour le fun, pour l’arrogance. C’est mon moment ? Non ce n’était pas mon moment. J’étais prédestiné à devenir une machine de guerre ce jour-là.
Les tours s’enchaînent, la partie s’allonge, je maintiens mon niveau virtuel, je prends les risques au moment opportun, je fais du trash talking à travers mon écran, je suis en feu. Et à la pause suivante le constat est implacable. 1ére position du tournoi. Il reste 300 pélos dans le tournoi. Je suis le chipleader comme on dit dans le jargon. Et là je me prends en pleine gueule le mur de Berlin, le rideau de Fer et la statue de Nefertiti.
Je réalise.
Je réalise que je suis en course pour un truc insensé. Moi-même. Kourski la Tepu. Niveau de pucellerie à 4/5, villageois pure souche qui stresse quand faut faire 32 kilomètres en voiture et qui s’apprête sans forcer à partir pour les Etats-Unis, prendre l’avion et dealer de la coke entre deux parties de poker qui rentrent dans le cadre des championnats du monde. A ce moment-là je ne suis plus Kourski la Tepu. Je suis un seigneur. Je réclame des boîtes de pringles, du ravitaillement, à boire, rien ne doit être négligé pour se substanter, s’abreuver, c’est ainsi que l’on forge un athlète, un sportif de haut niveau.
Mais voilà, une fois passer le cap du top 100, le stress prends le dessus et fait des ravages. Je suis toujours dans les 5 premières places, régulier, il ne reste plus que 85 concurrents. C’est beaucoup. C’est peu. Le mur de Berlin se rebiffe et je commence à jouer petit bras. Ma culotte se rétrécit à vue d’oeil. Je ne m’engage plus dans les coups. Les blinds bouffent mon stack (C’est des termes anglophones c’est pour me la péter vite fait. En gros ma cagnotte se rétrécit tour par tour à cause des mises obligatoires). Je redescends en 10 mais à la faveur de 2/3 coups hasardeux je reviens en 7éme place, je fais le yoyo, on est plus que 30 et 1 minute avant la dernière pause je tente un coup de folie. Paire de 8, ma paire fétiche de l’époque, j’attaque l’un des gros à la table. Je fini tapis (je mise tout, si je perds je suis éliminé) et je prends le brelan de 8 à la dernière carte. Je bande. Fort. A la dernière pause je repasse 2éme.
Nous sommes 26.
Sans la maîtrise la puissance n’est rien. Mais la maîtrise est absente. Je sue à grosses gouttes. Je commence à envoyer des SMS. Je regarde sur Google Maps à combien de kilomètres est Las Vegas de chez moi, je me dis que j’en suis encore au stade d’apprendre à faire des nouilles tout seul et que je m’apprête à partir à l’autre bout du monde en autonome. Le saut est gigantesque. Pendant la pause réglementaire, dans les petites bulles de dialogue sur le site de poker, je vois certains joueurs écrire, ils me mentionnent comme l’un des favoris. Je réponds “thank you babe”. J’ai l’assurance d’un champion du monde avec mon pot-à-pipi à proximité. Nul doute.
La partie reprends. Je suis tétanisé. Je n’ose littéralement plus. Les joueurs aux nerfs solides jouent leurs va-tout, prennent les risques. Moi je ne joue plus. Je n’attaque plus. J’essaie de défendre mes mises obligatoires mais je n’y arrive plus. Ils m’ont identifié comme un fragile qui n’est pas habitué à cette position. Mes jetons diminuent. Je passe 8éme. Je suis encore dans les clous. Nous ne sommes plus que 12. C’est la table finale. Le graal. La table finale... Comment dire ?
En vrai comme en virtuel, vous faîtes un tournoi, vous êtes 1000 joueurs, y a des centaines de tables. Quand vous arrivez à la fin c’est la table finale. Une seule table. Les derniers. Les héros. Les branleurs du brelan de 8. Je suis à la table finale. C’est du virtuel. Mais mes sensations elles sont réelles. Le championnat du monde de Los Angeles m’appelle au loin. Mais voilà c’est au loin. Je n’impressionne plus. Je suis identifié comme un accident de parcours, ils doivent me sortir. Je tente un coup, échec, la peur. Je scrute uniquement le classement, tenir le top 10, tenir la 10éme place. Tenir les places payantes. Survivre. Je ne joue plus. Je calcule. Je suis éliminé à la table finale en 11éme position. La pire possible. Si proche. Si loin. Il est 23h37. J’ai joué 14 heures. L’ascenseur émotionnel fut total. Quelques jours plus tard je tentais un tournoi pour le fun, un sit-and-go ou j’ai remporté 3 euros. Los Angeles ne me méritait pas. Le goût du poker, notamment sur Internet cessa à l’instant. Trop d’aventures, trop de stress, trop vampirique. J’ai arrêté depuis lors.
Rien ne vaut une partie en vrai. Entre potes, entre collègues, avec quelques dizaines d’euros juste pour dire, juste pour jouer sérieux. Je m’y remettrais bien si je pouvais au moins une fois par an, mais les convives pour ce jeu manquent.
Et vous ?
Jouez-vous ?
Rien à foutre ?
Je suis venu pour l’histoire ?
Occasionnellement ?
Des histoires à raconter, des exploits, des banqueroutes ?