Nous connaissons tous Matthieu Ricard en sa qualité de moine bouddhiste mais il est également un excellent photographe.
Son lieu de résidence lui permet de faire des clichés splendides.
Il a écrit :
"Une photo réussie est une image que l'on ne se lasse pas de contempler et qui procure un sentiment d'élévation".
Voici quelques commentaires et photos :
Après m'être établi dans l'Himalaya, en 1972, j'ai photographié mes maîtres spirituels et leur monde dans lequel ils évoluaient. Mon but était de partager la splendeur, la force et la profondeur de leur univers. Je souhaite utiliser la photographie comme une source d'espoir, pour redonner confiance dans la nature humaine et raviver notre émerveillement devant les splendeurs la nature.
Il m'arrive de ne pas prendre une seule photo pendant des mois. Puis vient le jour où les personnages, le lieu et la lumière surgissent d'une façon si belle que l'on ne peut résister à en faire une offrande à tous ceux qui poseront leurs yeux sur elle. Je prépare donc rarement mes images. Il arrive simplement, ici et là, que la beauté, la lumière ou le caractère unique d'une situation me saute aux yeux. Quand je travaillais en argentique je n'avais pas un sou, j'économisais au maximum mes pellicules et pour certaines de mes meilleures images je n'ai pris qu'un seul cliché. Aujourd'hui, avec le numérique, je peux bien sûr me permettre d'expérimenter plus librement. Dans le cas du portrait, je me suis également aperçu qu'à moins de faire un portrait figé (ce que je ne fais jamais), pour saisir une expression, un sourire ou un regard éphémère, si l'on fait une série d'images, il y a toujours une expression meilleure que les autres qui ressort clairement du lot. Une amie, Danielle Föllmi m'a dit une fois que je "peignais avec la lumière." Cela m'a beaucoup touché.
Parfois, rarement, il y a des images que je vais chercher au loin. Lorsque j'avais 16 ans, j'ai vu une photo emblématique d'Ansel Adams: un lac avec des roches au premier plan, fait à la chambre, avec une grande profondeur de champ et des montagnes en arrière-plan. Au Bhoutan, après quatre jours de marche dans les montagnes, j'ai vu une scène similaire avec un lac et des glaciers de 7000 m en arrière-plan. Il y avait du vent, les conditions n'étaient pas bonnes. J'ai dit à mes amis que j'allais dormir sur place, bien que nous ayons laissé nos tentes beaucoup plus bas dans une vallée. Je savais ce qui allait se passer au lever du jour. À 6 heures du matin, le lac était comme un miroir et j'ai eu une image proche de celle de Adams. Cela valait bien quatre jours de marche.
Lorsque j'ai réalisé les images pour le livre intitulé "Un voyage immobile, l'Himalaya vu d'un ermitage", je suis resté assis au même endroit pendant un an, comme pour attendre la lumière. Ce n'était pourtant pas mon but, puisque je séjournais dans mon ermitage pour faire une retraite. Cependant, depuis le matin bien avant l'aube, jusqu'à la nuit, je contemplais un paysage sublime. Sur 300 kilomètres, la chaîne himalayenne se déployait sous mes yeux. Parfois, une lumière extraordinaire venait illuminer quelques instants la scène qui s'offrait à mon regard émerveillé. Les "moments magiques" qui constituent ce recueil, tous saisis de la terrasse de mon ermitage ou à quelques dizaines de mètres de là, sont ainsi le fruit de cette longue "attente sans attente" et de la joie d'être le témoin de l'harmonie de la nature qui se mêle intimement à la félicité de la méditation. L'idéal est de vivre sur les lieux où l'on photographie, de sorte que le temps joue en votre faveur pour vous donner l'occasion d'être présent lorsqu'une scène exceptionnelle se présente.
En vérité, nous avons au plus profond de nous, à la manière d'une pépite d'or dans sa gangue, un extraordinaire potentiel de bonté, de connaissance et d'éveil. Il importe de prendre conscience de ce potentiel, de l'actualiser et de l'amener à son point optimal. C'est ce que je cherche à évoquer, très modestement, depuis cinquante ans par le biais de la photographie. Toute forme d'expression a ses limites, mais lorsqu'on l'utilise avec cœur et enthousiasme, on finit par trouver le moyen de partager ce qui compte le plus à nos yeux. Il faut oser s'ouvrir aux autres, s'ouvrir à la vaste interdépendance des êtres et de la nature, prendre à cœur le sort des générations à venir et de toutes les autres espèces qui, comme nous, cherchent à éviter la souffrance et à vivre leur vie jusqu'à son terme. Osons l'altruisme, osons le mettre au cœur de nos décisions et de nos institutions et, avant tout, au cœur de notre contemplation.