Chose promise..
Assise en haut de l’escalier, elle attend impatiente le dong de l’horloge annonçant 23h. D’où elle est, elle peut apercevoir le balancier de l’horloge oscillant de gauche à droite inlassablement. Le tic-tac incessant qui parfois la rend folle, capte toute son attention et bizarrement, l’apaise. Comme si ce seul son suffisait à contenir ce mélange de peur et d'excitation qu’elle ressent à chaque fois qu’elle s’apprête à enfreindre une règle.
L’horloge tinte, c’est l’heure. Elle se lève doucement, inspire profondément pour se donner du courage. Elle descend les escaliers sur la pointe des pieds, en prenant bien soin de ne pas faire craquer les marches. Tellement concentrée à ne pas se faire surprendre qu’elle ne voit pas la petite voiture de pompier laissée là, sur l’avant dernière marche. Ce camion miniature pourrait déclencher un drame familial aussi ravageur qu'un tsunami, en une fraction de seconde. Elle marche dessus, le camion roule, son pied glisse elle manque de tomber à la renverse, merci à la rambarde qu’elle agrippe de sa main libre. Le jouet continue sa course seul et dévale la dernière marche pour aller s’écraser dans le mur d’en face. Elle se fige, retient sa respiration, son cœur bat la chamade et en plus elle a mal au pied. Ce n’est pas faute de répéter à ses frères de ne pas laisser de jouet traîner dans les escaliers ! A croire qu’ils veulent ma mort se dit-elle. Puis elle sourit avec nostalgie en regardant la photo des deux garçons accrochée dans le couloir, ils ne marchaient pas encore à cette époque et ne la faisaient pas tourner en bourrique comme aujourd’hui ! Elle les aime autant qu'ils usent de sa patience.
En longeant le couloir, elle ouvre tout doucement le placard à chaussures, attrape ses tennis et se faufile telle une cambrioleuse professionnelle jusqu’au salon. La route qui la sépare de la véranda lui paraît interminable. Un petit malin se serait-il amusé à étirer les pièces rien que pour lui compliquer la tâche ? Elle commence à avoir les mains moites, l’adrénaline et la peur sûrement.. Super ! se dit-elle, je vais être belle si je me mets à transpirer comme après avoir couru un marathon! Après tout c’est bien pour Lui qu’elle enfreint les règles de la maison. C’est pour Lui qu’elle risque sa liberté, si son père la voit en train de tenter de se faire la belle, elle ne verra plus la lumière du jour avant 30 ans au moins, c’est sûr !
Avant dernière étape : la véranda. Elle fait glisser la porte-fenêtre le plus silencieusement possible. Son cœur bat à tout rompre, il bat tellement fort qu’elle a du mal à entendre le silence qui l’entoure. Plus la fenêtre s’ouvre, plus son cœur s’accélère. Elle y est presque ! Soudain, elle entend le parquet craquer dans la maison. Elle se fige net.
Que faire ? Plonger au sol comme un héros de film d’action en pleine fusillade ? Faire demi-tour ? Rester immobile en espérant que personne ne la voit ?
Ne sois pas idiote ma pauvre fille ! Tu n’as aucune cape d’invisibilité, bien sûr qu’on va te voir ! pensa-t-elle. Elle n’eut pas le temps de prendre une décision, quelqu’un avait bien fait craquer le parquet, c’était Axel, le chien de la famille, un berger de Beauce, on peut dire qu’ils ont grandi ensemble. Elle soupire de soulagement, au moins lui ne caftera pas !
Elle se glisse sur la terrasse extérieure et referme délicatement la porte fenêtre en veillant bien à ne pas la verrouiller. Elle est enfin dehors ! Elle enfile ses tennis, descend l’escalier en colimaçon et remonte le jardin pour accéder à la rue. Ultime étape : le portail à escalader.. Elle se dit que finalement être tête en l’air a ses bons côtés. Oublier constamment ses clés lui a permis de devenir une vraie pro de l’escalade ! D'ailleurs, le plus dangereux n’est pas de rester coincé ou de se blesser avec les barres pointues du portail. Non, le plus dangereux pour elle, c’est la voisine d’en face, Madame Maurice. Comme d’autres s’accrochent à leur téléviseur, la vieille Maurice comme on l’appelle dans le quartier, s’accroche quant à elle, à sa fenêtre. De jour comme de nuit, elle est fidèle au poste. Elle ne manquerait pas de tout déballer aux parents. Et c’en serait finit des escapades nocturnes ! Elle chassa ces sombres pensées de sa tête et entreprit son escalade, la rue est plongée dans le noir, pratique pour passer inaperçue.
Elle pose un pied, puis le deuxième sur le trottoir. Mission accomplie ! La peur disparaît aussitôt. Elle se dit que c’est risqué mais finalement plutôt facile. Elle attrape son téléphone pour prévenir les copines qui l’attendent au bout de la rue, elle regarde l’heure, 23h08. Les huit minutes les plus longues de sa vie. Mag la prévient, elles l’attendent impatientes d’aller faire la bamboche, deux d’entre elles sont parties en repérage à la soirée, Il est bien là, il a même demandé après elle ! C’est le sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux qu’elle descend la rue pour rejoindre ses amies. En marchant elle se dit que la nuit promet d’être fort intéressante et que ça valait le coup de braver le danger.. Il l’attend, Elle, et à ses yeux c’est tout ce qui compte.