A 14 ans c’est les premiers amours, la fête, la rébellion et les mobylettes. A 14 ans pour moi c’était de marquer sur un cahier de texte quand une fille me faisait la bise, les soirées lecture(s), la soumission et le vélo. Mais au milieu des ténèbres il y avait un espoir : Le foyer.
Le foyer d’une commune située à 3 kilomètres de mon village. Il regroupait la petite dizaine d’adolescents de ces communes et était le lieu ou il fallait être pour jouer au billard (il n’y avait qu’une seule couleur, quelqu’un avait volé les boules rouges) ou au baby-foot. Les leaders emmenaient même des Kronenbourg. Et il y avait les filles. Enfin une fille pour être précis. A 15 kilomètres à la ronde. Alors les mâles alphas du bled fourbissaient leurs armes le mercredi après-midi. 3 kilomètres de trajet à faire pour rejoindre le foyer.
Le gang sorti les bécanes, les mobylettes, RCX, SPX, scooter. La fille, elle, chevaucha délicatement la RCX noire et orange de l’un des leaders du gang. Je vous le donne en mille c’était moi. Uniquement dans mes sorties de rêves le matin avec la zezette tourmentée. Moi j’enfourchais un vélo. Un vélo d’adulte bleu et blanc. Un vélo de course avec des poignets recourbées. La classe. Il me niquait la colonne vertébrale mais je n’avais pas le choix, nous étions sans le sou. La RCX noire et orange avec pot ninja carte noire attendrait 2 ans de plus. J’avais un pack de panaché dans le sac-à-dos, un livre et des Kinders. Ils avaient la bière pour homme, des pétards et des joints. Elle s’éloignait. Irrésistiblement.
Au départ du village-étape, je montais sur mon vélo. Je regardai la bande s’éloigner rapidement avec les mobylettes pour rejoindre le foyer 3 kilomètres plus loin. Très vite je me mets en danseuse. Très vite je me claque les ischios jambiers dans la première montée. Le col de la Villette à 2% de pente sur 150 mètres. La honte. Le panaché commence à faite pschiiiit. Les capuchons vont sauter. Je suis en difficulté. Mais c’est dans la panade que les amis font vœux d’amitié. L’un des gars à mobylette freine et se met au même niveau que moi.
Il est l’heure de rentrer dans l’histoire. Il est temps d’utiliser la technique que tous les amateurs de bicyclette connaissent alors que leurs potes roulent avec des bécanes : S’accrocher à l’épaule du joueur de mobylette et se laisser entraîner par la puissance du bolide et effectuer le trajet sans stress ni effort. Ha les conards. Si j’avais su. Main gauche solidement arrimé sur l’épaule de mon fidèle destrier, main droite sur la poignée droite du vélo, je suis chaud. La mobylette arrive très vite à sa vitesse de croisière (50km/h), des sensations que vous ne connaissez pas. Mais je suis là pour vous les retranscrire au mieux. Je vibre. Les secousses sont réelles. Les canettes de panaché claquent sa race mais ça tient.
Flirter avec les éléments ça ne me fait pas peur (comme dirait Amel Bent dans sa chanson chépakoi). On franchit le mur du son du village et on s’offre une pointe à plus de 60km/h à la faveur d’une descente. Le vélo tremblote du cul, les poignées s’agitent, les Kinder fondent. C’est le défi de trop. Le carter arrière de la mobylette ( le carter c’est un gros bout en plastique qui recouvre des éléments de la mobylette et lui donne un style cool) (no rage de mon explication aux petits oignons), donc, merde je suis perdu dans mon écriture à cause de la parenthèse explicative.
Alors oui, donc le carter de la mobylette de mon copain est décalé de quelques centimètres par rapport aux autres morceaux en plastique. J’espère que vous suivez car je sais plus ce que j’écris. Il y a donc un décalage qui décale. Suivez-bien car ce décalage-là va avoir son importance. Et moi pendant ce temps-là je ne tournais pas les manivelles mais j’avais la tête qui tournait. 60km/h de pointe, bourrasque dans la gueule, moustique(s) dans la bouche et ma main gauche proche de la tendinite des doigts à force de m’agripper à mon cocher. D’ailleurs transit par le froid et le manque de force, ma main lâche l’épaule de mon sauveur. Pas si grave. J’effectuerai le reste du trajet en roue libre si je puis dire.
Effectivement.
En lâchant l’épaule de mon gars, la pointe de la poignée gauche de mon vélo trouve le moyen de s’encastrer dans le petit trou/décalage du carter de la mobylette de mon copain. Moi je suis pas un con. Je détecte les emmerdes quand elles se présentent. Je commence à gueuler « arrête la mob’ bébé » (j’appelle mes copains « bébé » no jugement stp). Evidemment au milieu du vacarme des bécanes avec leurs pots d’échappements digne des vaisseaux de Star Wars, ma voix de jeune boutonneux ne porte guère.
Puis quelques secondes pour l’éternité. Mon vélo avance tout seul. La pointe de la poignée encastrée dans la mobylette. Le vélo continue d’avancer. Tout droit. Je lève les mains en l’air à faire des signes. C’est la farandole du comique qui perds les pédales au sens propre comme au figuré. Le vélo continue d’avancer. Un peu moins droit. Même franchement en biais. La pointe de la poignée se détache. Mon vélo est comme une moto lors des Grand-prix sur un virage. Le bitume est ma patrie et je m’écrase comme une merde. Le bitume brûle et râpe ma peau sur de long centimètres. La douleur est assez forte. Mes canettes de panaché (technique pour séduire la belle) (j’apprendrai plus tard qu’elle fumait des Lucky Strike avec Frédéric cet enfoiré) ont explosés en plein vol. Les Kinders n’ont plus de surprise(s) dans l’œuf, c’est la déchéance. La bande continue le trajet l’air de rien. Je fais connaissance avec mon sang. Puis l’un des gars se retourne. Je suis l’attraction. Toujours. Tout le temps. Merde.