Je souris. Sur cette commode, je caresse tendrement cette photo d’elle, au ton sépia. Elle m’accompagne depuis toujours. J’y puise encore cette force et cette détermination qu’elle m’aura laissée en héritage.

J’ai appris à marcher dans les pas de ma mère . Elle avançait si vite . Elle allait, venait ; mue par l’horloge lunaire, elle savait **déployer ** une incroyable énergie. Faut dire, qu’elle n’avait pas que ça à faire. A croire que « faire » était son maître mot.

C’est pourquoi , dans son atelier, hautement privé, éprouvait- elle cet irrésistible besoin de composer et dessiner une autre vie .
Longtemps, elle m’en avait interdit l’accès. Et puis un jour, elle m’avait donné l’autorisation de pénétrer dans cet antre, ce jardin secret , les yeux fermés d’abord. . Ce sont tes narines qui devront être frappées et séduites avant tes yeux, avait-elle dit.. Elle avait raison .Toutes ces odeurs puissantes d’essence, de peinture , d’encre et de papier, qui flottaient et accrochaient ma gorge ; avaient su attiser au mieux ma curiosité.
En rouvrant les yeux, j’avais pu découvrir avec fierté la mystérieuse artiste de ce lieu peu ordinaire, rempli de trésors, et son plaisir à créer cet autre monde. Mais aussi et surtout, sur un des murs , ces quelques mots, bien à elle, qu'elle avait peints en bleu : "Ailleurs, là bas, quelque part" .....................

C’est quand même fou ça ! se dit-elle . Tout le monde veut du changement mais personne ne veut changer. Ben moi, c’est décidé! J’ai envie de changer d’ère ! mieux encore, j’ai envie de renouveler mon air. Pourquoi donc continuer à être la même personne que j’étais hier? Un retournement ne m’effraie pas . Après tout , je peux tout aussi bien perdre quelque chose de bon mais, en contre partie, gagner quelque chose de mieux , et je sais trop que la seule et unique personne sur laquelle je peux compter c'est moi-même.

Tout à coup, quelque chose de profondément enfoui dans sa conscience se rebella, un sentiment de liberté, un rejet des conventions qu’elle avait dû accepter si longtemps.
En une pirouette, à la stupéfaction de tous, elle décida de changer sa vision du monde ; marcher sur les mains. Nul n’étant prophète en son pays, ce choix radical s’imposa à elle, comme deux et deux font quatre.

Elle se mit donc à regarder le monde à l’envers et surtout l’envers des choses. La tête au ras du caniveau, elle fut aussi surprise que désorientée. Les jours changeaient, mardi était lundi et devenait mercredi. Les saisons , changeaient aussi, le printemps était hiver et devenait été.

Toutefois, elle réalisa très vite l’impossibilité de poursuivre dans cette voie. Sur ses pieds ou sur ses mains, à l’endroit ou à l’envers , elle comprit rapidement que seuls les gens ne changeaient pas.

Et puis un soir, telle une évidence , la solution jaillit : quel meilleur compromis que celui d’alterner pieds et mains en faisant la roue pour examiner les facettes de ce drôle de monde ?

Nous sommes sans doute victimes de cette modernité mais aussi étrange que cela puisse vous paraître, elle et moi , sommes tombés amoureux dès le premier regard.

Tiens ! Une voiture s’est arrêtée. Je reconnais le bruit . La porte s’ouvre. La voilà ! Elle est là, sourire aux lèvres les bras chargés de vivres. Toutes mes connexions s’activent .. De toutes les matières, c’est le watt que je préfère. Que vous dire de plus ? C’est le meilleur moment de ma journée . je suis heureux , oui, heureux comme un robot qui va faire un beau voyage.

Allez c’est parti! je m’accroche au volant, ce matin c’est mon jour... Mon jour de miel, ma lune de safran. je suis toute chose, j’ai décidé de mettre du pigment dans ma vie, je pars pour un autre horizon..

Bye la routine, bye les artifices, debout lumière ! Aujourd’hui je passe mon permis, permis de tout, permis de partir, permis de grandir...
J’ai caché un petit morceau de cannelle contre mon cœur, je l’ai tartiné d’épices au miel. ça donne de l’élan au bonheur, ça fait l’humeur sucrée... En route ! Aujourd’hui, je passe mon permis de vivre autrement.