Déjà Marta est une étrangère, au sens propre comme figuré. C'est une immigrante, en plus d'être une étrangère à la famille, qui forme une sorte de système. Très dysfonctionnel, certes, mais plus soudé que jamais quand cette étrangère est vue comme une menace. La famille, c'est les USA. Avec la glorification de s'être "fait tout seul" mais grâce aux richesses du paternel. Et ils ont beau tous répéter que Marta est quasi de la famille, ils font bien sentir que ça ne sera jamais le cas. Le film est bourré de micro agressions à son encontre. Impossible de connaître son origine, personne de la famille ne semble le savoir. Elle est une infirmière compétente mais reste traitée comme une domestique. Elle est même utilisée comme bouc émissaire et accusée d'un crime parce que ça arrange bien tout le monde qu'elle soit coupable.
Le système fonctionne avec le privilège et l'argent, et Marta doit s'en sortir sans ça. Le coupable est d'ailleurs celui qui est le plus privilégié de tous, n'ayant jamais bossé de sa vie, avec une gueule d'ange à qui on donnerait le bon dieu sans confession, et littéralement le visage de l'Amérique (je ne pense pas que Chris "Captain America" Evans ait été choisi uniquement pour son talent indéniable).
Quand Marta essayé de jouer selon les règles, selon le plan de Harlan, qui malgré sa bonne volonté, reste un membre de la famille et pense selon ce système, elle ne peut que perdre parce que ces règles lui sont toujours défavorables. La seule façon dont elle réussit à se sortir du pétrin c'est avec ses propres armes : elle est bonne dans son job, et elle a de l'empathie. D'ailleurs, la mort d'Harlan est causée parce que l'homme de pouvoir ne l'écoute pas, et prend les décisions à la place du personnel de santé qualifié. Le film est sorti en 2019 mais ce point m'a fait sourire. Le fait que ce soit une femme de couleur dont l'avis n'est pas écouté est un point bonus.
Au rang des trucs que j'ai remarqués également, il y a le personnage de Meg, la jeune féministe, hyper amicale avec Marta, mais qui trahit le fait que sa mère est sans papiers dès que ses privilèges sont menacés. Ou Walter, qui défend les droits des immigrés face à l'autre pro-Trump mais qui menace la mère immigrée de Marta à mots couverts. Une double dénonciation de l'activisme de façade, celui qu'on fait dans sa bulle bien à l'abri, mais qui vole en éclat dès qu'on se trouve du mauvais côté de la barrière.
Et ce moment délicieux où Ransom (sérieux, le gars s'appelle littéralement Rançon, et il essaye de soutirer l'argent de la protagoniste) parle de son héritage, de la maison de ses ancêtres, et où Benoît Blanc l'interrompt en riant et en disant que Harlan a acquis cette maison dans les années 80. C'est encore une pique aux USA, ça, je suppose.
Pour finir, le moins subtil, ce qui m'a vraiment confirmé que c'était un film avec une double lecture, c'est la fin, qui ne se termine pas sur le twist final, ni sur l'arrestation du coupable, mais sur un plan de Marta, dans la maison, regardant de haut la famille, dehors, en contrebas. Et la tasse de café avec les mots "my house" visibles. Elle a gagné, plus self-made woman que n'importe lequel des Thrombey en contrebas. Par son travail et ses valeurs, elle a réussi à se hisser au sommet. Une sorte de note d'espoir, que renverser l'ordre établi est possible.