Orson Welles - USA - 1941 - 2h00
Distribution:
Orson Welles: Charles Foster Kane
Buddy Swan: Charlie Kane à 8 ans
George Coulouris: Thatcher, son tuteur
Joseph Cotten: Jedediah Leland
Everett Sloane: Bernstein
Dorothy Comingore: Susan Alexander Kane
Agnes Moorehead: la mère de Kane
Harry Shannon: le père de Kane
Sonny Bupp: le fils de Kane
Ruth Warrick: Emily Kane
Ray Collins: James W. Gettys
Erskine Sanford: Carter
William Alland: Thompson
Résumé:
Charles Foster Kane, grand magnat de la presse américaine, meurt dans son manoir, il laisse tomber une boule en verre remplie de fausse neige et prononce ses derniers mots "Rosebud". Aussitôt la presse s'empare de ce mystère et débute une intrigante enquête pour découvrir le sens de ce mot. Le film nous raconte la vie de cet homme, à travers les témoignages de ses proches, et indice après indice, le puzzle se construit, le personnage se révèle, car en fait qui est donc CFK ?
ORSON WELLES
Orson Welles a 25 ans quand il tourne son 1er film, et il va frapper fort, démontrant l'étendue de son génie, car comme disait Corneille, "la valeur n'attend pas le nombre des années". Le film devait s'appeler "American", et il retrace la vie de William Randolph Hearst (1863-1951), un magnat de la presse devenu très riche, puissant et même élu sénateur. On Ne sait si Welles voulut lui rendre hommage ou le taquiner mais celui ci mena un féroce combat contre le film, comme quoi il n'y a que la vérité qui fâche. Le film fût innovant de plusieurs façons, techniquement avec d'impressionnants travellings et de nombreuses prises de vue en plongées et surtout contre plongées, qui agrandissent l'image, soulignant l'incroyable égocentrisme du personnage. Mais la narration est elle aussi révolutionnaire, d'abord ce début par la fin de l'histoire, la mort du héros, procédé classique aujourd'hui mais nouveau en 1941. Puis l'art de piquer notre curiosité avec ce mystérieux "Rosebud", laché pdt son dernier soupir, elle va être encore plus aiguisée par les avis divergents sur CFK, et les positions définitives de divers personnages le qualifiant de communiste, de fasciste, de fou, d'être merveilleux ou d'ignoble salopard.
Bon sang ! qui est donc Charlie Foster Kane ?
Le récit va mélanger le présent, l'enquête du journaliste Thompson, projection du spectateur dans le film, et les flashbacks, les récit de ses proches. Ainsi scène après scène, avis après avis, on pénètre dans l'intimité et la complexité de CFK sans vraiment comprendre ce qu'il fait. Les avis divergent et sont tous nuancés, on est loin du manichéisme des films habituels avec leurs héros parfaits et leurs méchants, vraiment méchants. Et lui que dit il à son sujet ? Que son seul but est d'être avant toute chose "un américain", titre initial du film, il le répétera plusieurs fois. C'est probablement le fond du film, Welles a voulu rendre hommage à ce que son pays permet, après tout CFK est né au XIXe siècle, quand le pays explosait pour devenir ce qu'il est grâce à des hommes comme CFK. Un pays-continent, riche de tout, et vierge d'archaïsmes qui permet l'émergence des grands hommes. La peinture sociologique est d'ailleurs éclairante, un pays neuf, fait d'entrepreneurs combatifs, certes aux parents issus d'Europe, mais coupés de leurs racines et aux ambitions à l’échelle de l'Amérique. C'est particulièrement clair avec ce domaine de Xanadu, patchwork culturel, extravagante collection d’œuvres du monde entier comme pour combler la vacuité culturelle de cette nation adolescente. Ils ne sont presque plus des européens, mais pas encore vraiment suffisamment émancipés pour créer leur propre culture, ce sont des enfants, qui s'amusent et jouissent de leur puissance, ce sont des américains. Et c'est probablement en partie ce qui explique leur passion pour ce film classé meilleur film de tous les temps, car il parle d'eux, d'une success story d'un homme et indirectement d'une nation devenant la plus grande et la plus puissante, c'est l'Amérique messianique, créée pour diriger le monde.
"All you need is Love"
Charlie va être frappé d'une double malédiction, d'abord un héritage colossal, fruit de la mine d'or maternelle, le condamnant à une oisiveté automatique et puis sa rupture familiale avec sa mise sous tutelle d'un banquier pour le former à cet avenir de nabab. Brutale, sans préliminaire, il sera arraché de son innocence en qqs secondes, cruciales pour le reste de sa vie, il a 8 ans et alors qu'il joue dans la neige, il apprend qu'il va quitter ses parents pour être éduqué par un banquier (Thatcher). Devenu adulte, la tutelle s'achèvera et il va enfin pouvoir décider de sa vie. Comme il scandera à son tuteur qui lui demandait*"Qu'aurais tu aimé faire si tu n'avais pas été riche ?"*, la réponse fuse, cinglante: "Tout ce que vous détestez". Car il est bien là le problème, depuis l'âge de 8 ans il subit sa vie et à présent il va vouloir tout décider pour lui, mais aussi pour les autres. C'est un insoumis, chassé de toutes les grandes écoles, il va s'épanouir dans le journalisme qui est pour lui une occupation, un jeu, mais surtout un outil de pouvoir.
"L'être et l'avoir"
Directeur du journal, il s'entoure d'une petite équipe, substitut familial, il y exercera son autorité, et y puisera une affection, ses collaborateurs l'admirent et l'aiment. Bref il trouve un équilibre dans cette profession. Infiniment riche, il prendra paradoxalement le parti des petits, des ouvriers, des gueux, dénonçant les magouilles des financiers ou des politiciens, bref il semble détester les riches, et représente en quelque sorte un preux chevalier, un robin des bois, bref un héros populaire. Mais recherche t il l'amour des petites gens ? ou plus pragmatiquement leurs voix ? Ses ambitions politiques et son mariage malicieux répondent à cette double question, c'est un politicien.
Finalement il veut sûrement prouver qu'il peut réussir et devenir grand par lui même et non par ses rentes, son obsession étant de tout diriger et surtout, tout acheter, des journaux, des radios, des statues, ... tel un monarque entouré de courtisans, tel le Roi Soleil il se regarde dans ses miroirs, il se croit aimé et respecté, il cru pouvoir acheter l'amour, y compris celui de sa 2e femme, simple marionnette de son orgueil. Ainsi il finira bien seul pour avoir confondu l'être et l'avoir, pour avoir réussi dans la vie, mais raté sa vie, ...
Chef d'oeuvre 10/10