A 20 ans c’est la fureur du sexe, les fêtes qui donnent le tournis et la résurgence de la rébellion. A 20 ans c’était pour moi la fureur d’imaginer le sexe, les fêtes jusqu’à 20 heures et la résurgence de l’esprit de mouton.
Et pourtant.
Cette année-là il était temps d’envoyer valdinguer le slip et de vivre des sensations fortes. Football total, déplacement à l’autre bout de la France, flot d’alcool, la drague. C’est très clair ça va envoyer la sauce.
Départ au petit matin. 3h20. Il fait nuit. Sans déconner Einstein. La bande avec qui je pars a évolué. Nous ne sommes plus sur des petits branlotins de 14 ans qui font des roues arrière en mobylettes. Je pars avec des adultes confirmés. Des trentenaires, un travail, en couple, amateurs de castagne et de vivre l’adrénaline sous toutes ses formes. J’entre dans la vingtaine, dans les études (et accessoirement taper l’argent de la bourse pour financer mes voyages), en couple avec ma main, amateur de la paix des braves et de vivre la quiétude sous toutes ses formes.
Le premier écueil tombe avec l’arrivée de la voiture. Une AX de chez Citroen. Putain cette voiture c’est le bras armé de Judas. C’est riquiqui à l’arrière. Je tombe des nues quand je comprends que je devrais caser mon mètre 95 dans cette boîte à caca. 1h plus tard je demande aux gars de s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence car j’en peux plus de la vie. Mes articulations souffrent, mon genou me lance, les fourmis envahissent mes semblants de muscles. J’ai l’impression d’être sous coke tellement ça fait bizarre quand le corps s’engourdi. Les gars refusent car je cite « on va pas commencer à s’arrêter toutes les 5 minutes » Conards. J’ai simulé 400 kilomètres plus loin le besoin de faire caca pour qu’ils s’arrêtent (no fake). Il a fallu m’aider pour descendre de la voiture car je ne sentais plus le poids de mes jambes et je ne pouvais pas marcher les premières minutes (no fake).
Bref tout ça c’est des clopinettes, du boniment destitué à la ménagère pour lui vendre des cornflakes. J’ai fait pire comme survivre au métro des enfers à Marseille au mois d’août avec une rame de métro bourré de 260 mecs torses nus qui permettez-moi de le dire ne sentaient pas l’énième Fleur d’évangile de Christian Dior mais plutôt Fleur d’anus version décomposé. On arrive à Nîmes tant bien que mal car c’est de cette ville qu’il s’agit. Le match se déroule, bref on s’en fou, on gagne, je suis content, j’ai bu une bière, j’ai fait le con dans la tribune, c’est merveilleux. On rentre maintenant ? Pas tout à fait.
Les gars ont faim. Direction l’un des coins huppés de Nîmes et ses restaurants. Evidemment moi j’ai pas de tunes et je m’apprête à dîner en mangeant de l’eau en carafe. Et si y a moyen de gratter du pain perdu avec des flageolets à l’apéro, ça fera le lendemain. On s’aperçoit quelques minutes plus tard que toute l’équipe technique et de commentateurs de Canal + qui était venu commenter le match est à une table voisine de la nôtre. Ho putain ils n’ont pas regretté. Nom d’oiseaux, chambrages, bataille de frites. Darren Tulett s’en souvient encore. Moi évidemment je fais genre que je suis moitié un hooligan à coup de « hé ho Canal + » genre menaçant. Puis à murmurer « vous êtes pas gentils » avec des plaques de rougeur sur les joues et la tête baissée pour éviter qu’ils m’entendent. Bref les gars commencent à me lustrer la rondelle à vouloir profiter des charmes de la ville, de manger, de picoler et tout le touin-touin. Moi je veux rentrer. L’heure du départ sonne enfin. Vaut mieux il est minuit. Y a 9 heures de routes au bas mot. Moi le lendemain je veux être dans mon lit pour lire et écouter des vidéos ASMR pour me détendre.
Bah mon cul mon colonel. L’un des gars a le malheur de prononcer ces mots « Bon. Y a peut-être un bar avec des strip-teaseuses histoire de partir sur une bonne note ». Ha non de dieu, qu’est-ce qu’il n’a pas dit le cochon. Les autres ont déjà le pantalon en quarantaine. L’enthousiasme prospère à vitesse grand V, les chibrax sont en feu. Moi je me dis intérieurement « Voir des dames nues c’est pas très bien » mais au fond de moi, vibre, soyons honnêtes, une petite fibre patriotique à base de « ça doit être mieux que sur des posters remarque ».
Allons-y donc gaiement ! 15 minutes plus tard nous voici à l’entrée du temple de la luxure. C’est branché, jeune, funky, ça danse, on devine au loin les dames qui ne s’embarrassent pas de sweat zippé à capuche et font tomber les artifices qui leurs servent de vêtements. La musique pulse sa mère. Je bouge la tête de droite à gauche l’air de dire « je suis dans le rythme, il faudra compter sur moi ce soir » alors que clairement je commence à avoir la tête qui tourne tellement la musique est forte.
Boîte de strip-tease. Moi. Vous sentez que quelque chose cloche n’est-ce pas ? Vous la sentez la douille ? Calme-toi, elle arrive. Si vous avez lu jusqu’ici félicitations, il est temps d’arriver à la chute finale. Je m’apprête donc à rentrer dans la boîte pour reluquer des culs. Voilà. C’est dit. Je porte mes balloches et on se parle dans le blanc des yeux.
Oui MAIS.
Mais.
Les gars eux sont des fêtards, en bringue tous les week-ends. Ils sont habillés casual, classique, propre sur eux, des jeans seyants qui moulent le derrière, des hauts d’hommes matures et responsables, des petits mocassins marrons qui ne sentent pas Kiabi. Pas l’allure de supporters frénétiques. Moi en revanche c’est la panoplie du parfait footix de base : Pantalon de survêt Olympique de Marseille, tee-shirt OM, casquette OM, montre OM, caleçon imperméable OM, chaîne avec pendentif OM. C’est bien simple, à l’époque vous m’auriez croisé, vous m’auriez lancé des cailloux.
Le premier gars fait face au videur. (un gars de 2m08, même moi je me sentais petit à côté de ce porte-avion humain) Il passe. Le videur le check, ça respire la camaraderie. Le deuxième aussi. Puis les deux autres. Ça se check dans tout les sens. Le videur donne limite des conseils pour mieux apprécier le spectacle à l’intérieur. Je fais partie d’une bande qui appartient à l’élite. Je ferme la marche et m’approche du videur. Je fais un pas en avant. Puis 12 en arrière. Il frappe son poing énorme digne de Thor sur mon torse, me fait reculer et j’entends le couperet s’abattre sur moi « ça ne va pas être possible petit ». Petit ? « Conard. Je fais 1m95 » est la réponse que j’ai envisagé. Ma bouche, elle, a sortie malgré moi « pardon monsieur ». Il me toise de la tête aux pieds.
J’ai compris. Il a compris. Nous avons tous compris que j’ai compris. La sueur perle sur mon front. Les gars sont déjà tous à l’intérieur prêt à muscler les zygomatiques de leurs verges ruisselantes de sueurs, elles aussi. Je crie aux gars « coucou les amis je ne peux pas rentrer à cause de mes habits, vous venez ? ». Faut-il être innocent dans la vie. Le dernier gars qui était rentré dans l’antre de la luxure se retourne et me dit (je me souviendrais toute ma vie de son visage à ce moment-là, le petit enculé) « T’inquiète, on reste 5 minutes et on revient, on va pas te laisser ».
J’ai attendu environ 5 c’est exact. Pas 5 minutes. 5 heures. La fermeture de la boîte de strip-tease. J’avais trop peur de m’isoler seul dans le Nîmes endiablé. Je suis resté toute la nuit pas loin des videurs par « sécurité ». Dés fois j’essayais de communiquer avec eux pour faire le gangster mais ils m’ont envoyé chier. Dés fois en scred, quand les gens rentraient dans la boîte, je me rapprochais discrètement du videur, genre, je faisais partie de la Team élite, genre, j’avais un droit de regard sur ceux qui rentrent et ceux qui ne rentrent pas. L’adrénaline pure. La honte totale. Je fumais clope sur clope, j’ai cramé mon bas de survêt à cause de la cendre, j’étais toisé du regard comme étant un vilain Tommy perdu dans la savane.
A 5 heures du matin nous partîmes. Je n’ai pas vu défiler les dames toutes nues. Mais j’ai vu défiler les 9 heures de voyage retour dans l’AX avec de nouveau les jambes dans le coma.
Un week-end comme un autre.