J'me permet de vous transmettre un assez long hommage critique et quelque peu remanié à l'occasion de la sortie de la nouvelle édition.
Persona 5 Royal est un jeu sorti sur PS4 le 31 mars 2020, réédition généreuse et traduite de l'original sorti en 2017.
Il s'inscrit dans la longue et vieille série tentaculaire de JRPG Megami Tensei avec qui il partage pas mal de points communs, des thèmes au bestiaire.
Persona 5 est, dans l'idée, un JRPG tour par tour mêlé à une sorte de simulateur de vie sociale et lycéenne. Le protagoniste âgé de 16 ans, que l'on surnommera Joker, est expulsé de son bahut suite à une condamnation à tort pour agression. Il débarque donc seul à Tokyo dans le seul lycée acceptant son casier judiciaire, et réside chez le propriétaire d'un Café un poil grognon. Nouvel environnement social, regards hostiles dus à sa mauvaise réputation, et accueil glacial de la part du personnel enseignant qui se méfie totalement de lui. Au même moment, une application mystérieuse apparaît sur son smartphone et lui permet de plonger dans un univers parallèle, le Métaverse.
Ça faisait un moment que je suivais la série des Persona, mais j'ai néanmoins plongé dedans qu'à partir de ce 5ème opus. Ça a été une véritable claque. Depuis j'ai pu tous un peu les découvrir, les deux premiers étant néanmoins sur une base plus "donjon", le système social n'arrivant qu'à partir du 3ème. J'vais tenter de faire un petit décorticage de la formule histoire d'éventuellement donner envie, mais surtout pour essayer de montrer en quoi je considère Persona 5 comme un jeu qui se rapproche d'un art total.
L'art total, pour moi, c'est un peu quand l’œuvre utilise tous les éléments pour faire un truc absolument transcendant, vertigineux, abyssal. Y'a des trucs qui vont plus loin que Persona 5 dans les thèmes, j'avoue, mais là y'a quand même une sorte de travail fourni qui essaie de prouver qu'on a affaire à un truc assez unique et qui tente d'aller au plus loin dans sa cohérence.
Attends, mais, déjà, c'est quoi ça la Persona ?
La Persona, ou masque, est utilisée dans le jeu en reprenant le concept du psychanalyste Carl Gustav Jung. Dans l'idée, la Persona est justement le masque social, celui que chacun porte en société, en fonction de la situation dans laquelle il se trouve. On agit pas de la même manière en famille qu'entre pote ou au boulot. Bah c'est l'idée, on évolue dans ces strates en portant des masques différents, en s'adaptant au contexte, personnes, cadres etc. Du coup le jeu s'articule complétement autour de ce délire, et dans un premier temps vis à vis de ses antagonistes.
Partant du principe qu'on cache tous un peu notre jeu, Joker (et sa bande grandissante au fur et à mesure) va vite se retrouver face à des individus malveillants et menaçants. Au début par exemple, ce sera le prof de sport du bahut. Un psychopathe mégalomaniaque au premier abord sympa et charismatique, mais qui traumatise tout le monde et se prend pour le mâle dominant Weinsteinien. Il harcèle sexuellement les élèves, brutalise ses équipes de volley, fout la pression à tout le monde pour qu'une peur de lui soit sous-jacente, imposant son influence et son règne sur l'établissement, jusqu'à pousser une jeune au suicide. L'autre problème est qu'il prendra direct en grippe Joker et fera en sorte qu'il se fasse virer d'ici 15 jours.
Sauf que la fameuse application mystérieuse apparue sur le smartphone de Joker lui permet de rentrer dans le métaverse, monde parallèle "subconscient" au notre ouvrant sur des "palais", lieux symbolisant la psychologie cachée et les passions destructrices de ces êtres malveillants. Le palais du prof de sport est donc le lycée, retransformé en château médiéval, et l'antagoniste en est le roi. Le palais en question représente la vision perverse et masquée de son propriétaire : les élèves y sont torturés dans le cachot, certaines sont ultra-sexualisées, des statues démentielles à son effigie sont présentes partout etc.
Le but de Joker et sa bande est donc de s'infiltrer dans ce palais, plonger au plus profond de ses entrailles et tenter de subtiliser le trésor du maître des lieux, représentation de son pouvoir et de sa malveillance dominatrice sur les autres. De cette manière, l'antagoniste pourra subir la métanoïa, un changement de personnalité drastique qui le poussera à se repentir en avouant ses crimes face à la perte de toute forme de domination sur les autres. Bien sûr pour contrer cela, le palais est infesté d'ombres, créatures folkloriques et malsaines, chargées de vice et protégeant la folie de leur maître.
Afin de se débarrasser de tout ça, Joker et ses potes matérialisent leur courage par un nouvel uniforme et font appel à leur propre masque permettant de survivre dans cet environnement : la Persona, figure héroïque subconsciente à la force surhumaine et aux pouvoirs magiques leur donnant la possibilité de dégager toutes les menaces. Celles-ci représentent généralement des figures fictionnelles ou historiques en lien avec la personnalité du héros : Arsène Lupin (le fantôme) pour Joker, Captain Kidd pour son pote impulsif, Carmen pour la modèle au cœur noble, Jeanne d'Arc pour la tête de classe qui ne se laisse pas faire etc...
Néanmoins (et ce n'est pas un hasard on y reviendra), Joker est le seul ayant la possibilité d'utiliser plusieurs Personas. En effet, celui-ci peut capturer les ombres en faire sa propre Persona (à la Pokémon quoi), lui permettant de manier différents masques afin de s'adapter à toute situation. Pour cela, il faudra braquer l'ennemi en le mettant dans une situation critique, puis réussir à l'amadouer par les bonnes réponses en fonction de son caractère. De cette manière, vous aurez le droit de l'attraper.
Le temps est dilaté à l'intérieur du métavers. Ce qui permet à Joker et son équipe de continuer à vivre sa vie à côté, et faire des allers retours en cas de pépins et d'objets de soin à récupérer. C'est l'occasion aussi de se renforcer via les différents liens sociaux.
En effet dans le monde réel aussi on contrôle Joker, et on doit gérer son emploi du temps. Les jours, semaines et mois passent, la météo change, certains évènements spéciaux apparaissent, y'a les vacances scolaires, les exams, les jours fériés. On a le droit chaque jour à deux phases où l'on doit trouver une activité à faire : après les cours (ou la journée du dimanche), et le soir. Généralement, le mieux, c'est d'aller entretenir ses liens sociaux avec ce qu'on appelle des confidents. Ceux-ci peuvent être des potes, des camarades, ou des gens lambda rencontrés au fur et à mesure du jeu. Mais chacun ont quelque chose à nous apporter, et sont donc utiles d'une manière ou d'une autre.
Chaque lien social possède dix niveaux. Renforcer les liens avec un personnage de son équipe permettra, à certains niveaux, de lui permettre de nous filer un coup de mains si les choses partent en vrille. Renforcer les liens avec le politicien has-been rencontré dans un restaurant permettra d'apprendre à convaincre, et donc de capturer plus facilement des ombres et en faire des Personas. Renforcer les liens avec le gamin qui traîne sur les jeux de tirs en arcade permettra de faire plus de dégâts avec des attaques aux flingues. Renforcer les liens avec le psychologue scolaire permettra d'augmenter la compréhension de soi et gonfler ses points de magie. Renforcer ses liens avec la championne d’échec permettra d'avoir de meilleures stratégies de combat etc etc.
Chaque confident nous apporte donc quelque chose au fur et à mesure que le lien de confiance se créé. Pour le créer, encore faut-il passer son temps avec lui. Passer du temps avec l'un ne permet pas de passer du temps avec un autre, disponible par exemple qu'un seul jour dans la semaine à un certain moment. Mais, en plus de passer du temps avec lui, encore faut-il lui prouver qu'on le comprend et qu'on le connaît. Chaque rendez-vous nous permet d'en apprendre plus sur lui, il se livrera mais attendra une réaction de notre part. Et chaque réaction déterminera l'évolution plus ou moins rapide de la relation. Répondre par la vanne alors que le personnage attend du réconfort ne permettra pas d'accéder au rang plus rapidement. Être mielleux alors que le personnage attends qu'on le brusque, pareil. A nous de lire entre les lignes, de capter les intentions, de "sentir" le personnage et livrer la bonne réponse parmi le choix proposé. De la même manière, offrir un cadeau permettra de gonfler le lien. Mais offrir un objet de geek à une fan de mode ne servira à rien en plus de gâcher un objet et des thunes. Donc attention.
Il faut optimiser. Oui, c'est cruel. Il faut optimiser son temps et ses relations. Se planter de réponses décalera l’accès à un nouveau rang de confiance un jour plus tard et diminuera les chances de pouvoir gonfler toutes ses connaissances au max et passer à côté de nombreux bonus intéressants et parfois salvateurs. Car, en plus de ça, il faudra aussi développer ses compétences sociales. Gentillesse, connaissance, courage, charme et maîtrise, chacune possédant 5 niveaux.
Bah ouais, évidemment. Il ne sera parfois pas possible de développer une relation tant que l'une des compétences n'aura pas atteint un certain seuil. La championne d’échec n'a pas envie de perdre son temps avec une personne peu instruite. La fan de jardinage pleine de bonté ne passe pas de temps avec un rustre. La jeune docteure généraliste qui souhaite t'utiliser comme cobaye pour ses médocs maisons te proposera rien si tu sembles pas avoir assez de tripes. Et j'en passe. Pour développer ces compétences, il faudra donc passer du temps à faire quelque chose précis. Aller voir un film d'action montera le courage, lire une encyclopédie ce sera la connaissance, taffer comme serveur pour la maîtrise, traîner avec le politicien donnera du charme, faire le ménage chez son proprio pour la gentillesse, et plein d'autres. A partir de là, bon courage, va falloir prendre son temps à deux mains, bien réfléchir aux actions à mener et tout bien optimiser car il sera difficile de tout remplir à 100% jusqu'à la fin de l'année, et donc du jeu.
Si vous avez bien suivi, le jeu nous pousse à optimiser, mais aussi voire surtout à nous adapter à l'autre. Si vous voulez que tout le monde vous soit utile, il faut que tout le monde vous aime, donc faîtes ce qu'ils veulent. Répondez de la manière qu'ils le souhaitent même si vous avez envie de les envoyer chier. Passez du temps à développer vos skills pour qu'ils daignent vous regarder. Les avoir dans votre poche pourra peut-être vous permettre d'avancer sans encombre dans les palais, voire vous sauver la vie. E dans le multiverse, idem, vous allez passer votre temps à utiliser les bonus apportés par vos confidents afin d'adopter les bonnes stratégies d'optimisation pour foutre l'ennemi dans la merde, l'acculer, vous adapter à son caractère et le foutre dans votre poche pour l'utiliser plus tard à bon escient contre le propriétaire du palais qui, une fois face à lui, vacillera, se fera voler son trésor, et sera forcé de changer de personnalité afin de se repentir et aller en taule.
Parce qu'en fait, votre personnage n'est personne à part juste un putain de masque.
Votre propre masque dans le jeu.
Il est probablement le seul qui ne montre jamais d'émotion sur son visage.
Il n'a pas de réplique à part un choix de réponse de temps en temps qui vous permettra de définir son caractère.
Vous allez manipuler tout le monde, constamment, tout le temps.
Tout sera pensé, étudier, pour arriver à vos fins.
Vous allez affronter une succession de psychopathes tous plus givrés et cruels les uns que les autres, mais en usant des mêmes foutues méthodes. C'est à dire abuser de son influence pour se donner du pouvoir et arriver à ses fins.
La seule différence à la limite, c'est la barrière morale. Et encore, c'est à vous de concevoir. Libre à vous d'être à côté de la plaque tout le long et de rester cohérent avec vous-même, mais alors c'est augmenter le risque de game over et donc de potentielles victimes d'actes intolérables de tarés pathologiques.
Ce jeu est une dinguerie. Sans déconner, la première fois que je l'ai bouffé, j'ai pas compris ce qui m'arrivait. J'ai eu l'impression, durant les 5 premières heures de jeu, de me prendre constamment des tartes graphiques dans la gueule. Parce qu'autant là j'ai parlé que du concept, game system, toussa. Mais derrière y'a encore la direction artistique, les phases de combat, la mise en scène etc. TOUT est juste folie.
Bon, c'est très manga, faut aimer le style. Mais c'est aussi méga pop. C'est une des plus grandes définitions du pop. Ça bouffe la gueule direct. Ça apparait d'un coup, ça tape et ça fait décoller la rétine. Les menus déjà, j'ai jamais vu ça. C'est comme s'ils venaient se coller à l'écran à chaque fois qu'on se baladait dedans. Ultra fluide, ultra travaillé, tout est stylisé, parfaitement à sa place. J'suis pas graphiste, mais ça sent le travail d'orfèvre.
Ensuite les combats au tour par tour, on arrête pas d'enchaîner les faiblesses sur les ennemis pour permettre de gagner des tours d'action en plus. Sachant qu'on peut transférer les tours entre les persos pour augmenter les dégâts, on aligne les passations entre eux avec des animations où ils se tapent dans la main. Et une fois que tout les ennemis sont à terre, on les finit avec une "all out attack" complètement BDesque où un nuage de coup apparaît (littéralement) avant de finir sur une planche représentant un de nos personnages dans une posture poseuse délirante en adéquation avec son univers. Pour ceux qui ont vu/lu Scott Pilgrim Vs The World, c'est le même genre d'effets dans la face. Même le menu de récompense de fin de combat et complétement fêlé avec les persos en train de se barrer, content de leur victoire. Et pareil, toutes les musiques respirent le groove et le style. Un truc pop funky urbain complétement accrocheur qui reste mais CONSTAMMENT dans la tête quoi.
Ce jeu représente vraiment une forme d'aboutissement graphique et conceptuelle quelque part. J'ai un peu du mal à le comparer à quoique ce soit d'autre. Tout est fait pour immerger pendant une bonne centaine d'heures (ouais sans déconner). Après voilà, c'est très bavard, faut aussi ouvrir son cœur à la part adolescente qui est en nous et qui essaye (parfois encore) de comprendre la place de son existence dans ce monde si brutal. Ça traite justement de la rébellion face à la résignation des adultes qui n'hésitent pas à sacrifier la jeunesse sur l'autel de leurs propres désirs égoïstes. L'importance de s'unir, ne pas avoir peur de sortir de la norme établie, de s'opposer, critiquer, dire non, ne pas suivre aveuglément ce qu'on nous impose constamment etc. Le tout en nous proposant un système de jeu qui nous pousse justement à questionner la finalité de nos actes, de nos relations, dans quel sens, quel but et quelle identité nous avançons dans cet amas de liens, de réseaux, d'instantanéité et de connexions constantes. J'm'arrête là. Si vous avez moyen, goûtez le. Il est encore un peu cher, mais espérons qu'il baisse rapidement. Sachant qu'il a été intégralement traduit en français pour la première fois dans la série, ce serait génial qu'ils fassent pareil avec les prochains.
Pour ceux qui ont eu le courage de tout lire, en cadeau j'vous laisse une petite vidéo histoire de montrer la dinguerie visuelle des combats, une fameuse "all out attack" tirée d'un trailer de la première version du jeu.