Comment parle-t-on d’amour en chinois ?
A travers les récits de quatre générations de femmes d’une même famille, nous découvrons un témoignage bouleversant sur la vie réservée aux Chinoises par l’Histoire.
Des unions arrangées pour compatibilité révolutionnaire aux jeunes filles d’aujourd’hui pour qui le mariage n’est plus une fin en soi, ces femmes racontent le sentiment amoureux, l’attente, les souffrances et la perte, la solitude.
La politique, l’Histoire sont là, mais bien davantage tout ce dont on ne parle pas d’habitude : les secrets qui se transmettent d’une génération à l’autre, les sentiments, les passions, les désirs. Et tout le poids du non-dit, qui brise ici les tabous en se révélant au grand jour.
Un jeu de miroirs où société chinoise et domaine de l’intime se répondent pour esquisser une histoire amoureuse des femmes chinoises : combien elles ont changé dans leur manière de concevoir les relations sexuelles, les sentiments et la famille, et comment l’amour, envers et contre tout, peut résister et survivre à l’Histoire.
Ce livre en 4 parties, est en fait 5 interviews avec 5 femmes chinoises de la même famille et de différentes générations. J'ai aimé les histoires "d'amour" de Rouge, Petite Verte, Grue et de trois des filles de la génération 3D (la nôtre les 25/30/40 ans) . Des histoires très différentes, à des périodes différentes. On débute dans une Chine "traditionnelle", on avance dans une Chine révolutionnaire, on poursuit avec la mise en place du régime communiste, on vit à l'heure de la répression, on finit sur la "libération". C'est émouvant mais c'est surtout une autre vision, celle de l'intérieur.
J'ai eu envie de vous proposer quelques extraits qui sont tirés des témoignages pour changer
Meng Dafu n’avait pas fait d’études supérieures, son intelligence lui venait de son expérience de la vie. Les gens de son village sont comme ça aussi. Quand ils viennent en ville, ils se retrouvent totalement vulnérables, mais ils sont quand même capables de survivre en marge de la société. Nous autres, citadins, nous pouvons arriver dans les campagnes, la tête farcie de savoir académique, cela ne signifie pas que nous serons en mesure de nous débrouiller, car notre intellect et notre compréhension du monde sont trop rigides. Nous ne savons pas nous adapter.
Nous faisions partie de la vague, et donc, pourrait-on dire, du problème. Les prédictions mensongères, les résultats truqués, les slogans outranciers et les attaques personnelles vulgaires que l’on trouvait sur ces tableaux noirs – tels étaient les « chefs-d’œuvre » que nous créions sous la menace de persécutions.
Un vieux villageois s’affairait aux préparatifs du mariage de son fils, qui devait avoir lieu le premier jour du cinquième mois. Il nous demanda de lui écrire un couplet spécial :
Deux mains destinées
A former un couple, un foyer.
Mais lorsque l’un des membres les plus révolutionnaires de notre groupe vit cela, il mit en garde le vieil homme :
— Ça laisse à entendre qu’une fois mariés ils ne se soucieront plus de la production collective. Ils ne s’occuperont que de leur propre famille. Je ne sais pas, ça m’a l’air bien capitaliste, tout ça !
Inquiet, le villageois nous demanda d’effectuer quelques modifications. Pour tranquilliser le vieil homme, Tang Hai fit une nouvelle tentative :
Deux mains sans cesse au labeur,
Pour la production et pour l’honneur.
Le lendemain matin, il se trouva que le cadre chargé de la propagande dans la commune venait dans notre village pour régler quelques affaires. En voyant le duilian, il y alla de son commentaire :
— La révolution progresse chaque jour, camarades ! Elle va bien au-delà de la seule théorie de la production. Ça ne va pas du tout ! Changez ça !
Ce que nous fîmes.
Deux mains unies,
Pour la révolution et l’harmonie.
Dans l’après-midi, le secrétaire du comité révolutionnaire du district vint inspecter notre village. Quand il aperçut notre couplet, il objecta :
— La lutte des classes passe avant tout type d’union. Parler d’harmonie et d’union à ce stade ne fait qu’embrouiller la question de la lutte des classes. Pire, c’est contre-révolutionnaire !
Ces paroles épouvantèrent le vieil homme. Il revint nous trouver en toute hâte.
— Ecrivez quelque chose, n’importe quoi, qui ne nous attire plus d’ennuis. Je vous en supplie ! C’est supposé être un événement heureux, n’allez surtout pas mettre les cadres en colère !
Tang Hai estima que tout cela était allé trop loin. Il répondit au villageois qu’il ne savait plus quels changements apporter.
Heureusement, le révolutionnaire que j’ai déjà mentionné se trouvait disponible et proposa ses services. Il effectua les ultimes modifications.
Deux mains unies pour l’éternité,
Se livrant une lutte acharnée.
Quand on y songe, ce n’était pas une époque de folie, ça ?
En fin de compte, ce jeune couple était, semblait-il, voué à offenser les dieux politiques, à croire que c’était là son unique destin. Peu après leur mariage, les deux jeunes gens entendirent parler de la dernière tendance révolutionnaire du moment : tapisser les murs de sa chambre avec des portraits et des citations du président Mao. Un jour, un habitant du village leur demanda :
— Vous le faites en présence du président Mao chaque soir, juste devant ses yeux ?
— Ce n’est pas grave, répondirent-ils. La nuit, dès qu’on éteint les lumières, il ne peut plus rien voir.
Peu de temps après, le couple fut emmené par la police du district. Les dirigeants de la commune avertirent tout le village :
— Ils ont été arrêtés. Notre dirigeant tout-puissant est capable de voir à travers le brouillard le plus épais. Il voit même ce que nous faisons dans le noir !
Comment tenions-nous le coup, nous, les jeunes instruits, quand tout autour de nous les paysans se bornaient à suivre aveuglément les dirigeants ? Nous étions obligés de marcher sur des œufs, car c’était une époque où nous n’avions d’autre choix que de nous débrouiller tout seuls – personne ne venait à votre secours quand vous aviez des ennuis. Toutefois, notre éducation ne s’avéra pas totalement inutile. Chaque fois qu’une occasion se présentait, nous élaborions un plan pour duper ces chefs révolutionnaires incultes.
Ce livre vous apprendra aux détours des témoignages, une partie de l'histoire du XXieme de ce pays, mais aussi des coutumes traditionnelles, paysannes...
C'est donc une bonne surprise pour moi, découverte en participant à l'abécédaire 2021, et pour vous c'est l'occasion de remplir la lettre de l'auteur en X (oui je suis très gentille ). Et vous, vous connaissez ? Ce livre? Cette auteure? Ou rejoindra t il votre PAL?