Vous n’imaginez pas le nombre de lois débiles encore en vigueur dans certains états d’Amérique du Nord. Dans l’Idaho, interdiction d’emmener son fils faire un tour de manège le dimanche. Une loi texane interdit formellement de boire plus de trois gorgées de bière en restant debout. C’est également au fin fond du Texas que l’on trouve la ville de Bomont. Si ce nom vous rappelle quelque chose, c’est certainement parce que c’est le cadre de Footloose. Cela dit, on ne sait pas vraiment s’il s’agit de Bomont, Texas. Footloose a été tourné dans l’Utah. Ce qui est certain c’est qu’il est formellement interdit aux résidents de Bomont de danser et d’écouter du rock. Ambiance…
C’est donc dans cette bourgade que débarque Ren McCormack (du quintessential Kevin Bacon). Exilé de Chicago, il s’installe chez son oncle et sa tante, accompagné de sa mère (Frances Lee McCain, vue en 1984 dans Gremlins, aperçue un an plus tard dans Retour Vers le Futur, puis dans Stand By Me l’année suivante. Une filmo validée par le Rockyrama Crue). A peine a-t-il mis les pieds au bahut qu’il devient la cible des big shots locaux. Il faut dire qu’un type qui débarque d’une grande ville, qui vient au lycée au volant d’une coccinelle jaune et porte la cravate pour « faire son David Bowie », ça passe moyen chez les ados du coin…
Attendez, vous savez quoi, stop ! Je vais arrêter le pitch avant que tout ça ne parte dans un délire nostalgique sur un film 80’s qui raconte comment un gamin de Chicago redonne à la danse son sens initial, dans une ville où danser est illégal. Car Footloose ne se résume pas à ça. Loin de n’être qu’un enchaînement de numéros chorégraphiés sans âme, c’est un film à la narration ambitieuse, contant le destin de personnages moins stéréotypés qu’ils n’y paraissent. Footloose parle de deuil, de frustration, de religion, de mort. Il met notamment en scène des actes suicidaires, des sermons effrayants, des livres jetés au feu, une jeune fille passée à tabac par un amant jaloux.
On doit cette profondeur à Dean Pitchford, le scénariste, qui a veillé à développer un arc narratif fort pour chacun des personnages, ados comme adultes. Les désirs des uns provoquent plus que l’incompréhension chez les autres. Le comportement rebelle de Ren, par exemple, place sa mère dans une position délicate vis-à-vis de sa famille. Le désir de liberté d’Ariel (Lori Singer, cousine de Bryan, splendide dans son rôle d’écorchée) anime chez son père un sentiment de tristesse extrême. Ce père, c’est d’ailleurs la grande surprise du film. Campé par John Lithgow, le révérend Moore est un personnage tout en contraste dont la verve religieuse ne parvient pas à panser ses blessures. Certaines de ses scènes sont bouleversantes de justesse.
Et la danse dans tout ça ? Elle agit sur les jeunes de Bomont comme le remède aux pulsions négatives. Dans Footloose, le fait de danser est présenté comme un acte militant, l’affirmation ultime d’un refus. On la pratique en cachette, à l’abri des lois. On succombe au besoin pas simplement pour défier les adultes mais comme si la vie en dépendait. Ce besoin refoulé par les ados de Bomont, c’est Ren McCormack qui va le réveiller, envers et contre tout. Il ira même jusqu’à l’enseigner à son ami Willard (joué par le regretté Chris Penn qui ne savait effectivement pas danser et que l’on voit donc apprendre en live !). Bien entendu, le jeune McCormack ne fait pas tout ça sur n’importe quel son.
Les tubes de la BO ont été composés par la crème du rock FM des 80’s. Le morceau titre, composé par Kenny Logins, est une pop song redoutable d’efficacité qui, au même titre que le Power of Love de Huey Lewis, deviendra tout aussi important que le long-métrage qu’elle accompagne. Aujourd’hui encore, dès qu’il se rend à un mariage, Kevin Bacon glisse un billet de 20 dollars dans la poche du DJ afin que celui-ci ne joue pas Footloose, de peur que les invités le supplient de danser. Cette symbiose parfaite entre la musique, légère, et le récit, plus sombre, donne lieu à des scènes admirables. L’explosion de Ren sur le génial Never des Moving Pictures est l’exemple parfait de ce dosage qui confère au film tout son impact.
Dean Pitchford, qui en plus du scénario a co-écrit l’intégralité des chansons, dit de Footloose que c’est avant tout l’histoire d’un ado qui a perdu son père, d’un père qui a perdu son fils, et de ce que chacun des deux parviendra à apprendre de l’autre. Un film sur la réconciliation des générations par la force de la danse, en somme. Un authentique miracle d’équilibre, fragile mais tenace, d’une grave légèreté.